Anne-Marie de Couvreur (Mediameeting) : « l’oral va permettre d’humaniser le digital »

Anne-Marie de Couvreur

Anne-Marie de Couvreur est fondatrice et CEO de Mediameeting.

Quelles sont les nouvelles habitudes orales ? En quoi changent-elles le quotidien des salariés au travail ? Comment le podcast est-il devenu le symbole de cette tendance ? La société Mediameeting, qui créé des podcasts, webradios et émissions live pour les entreprises, a commandé au cabinet d’études Occurrence une étude sur l’oralité en entreprise. Ce rapport interroge le rapport des salariés français à la communication orale. Décryptage de cette tendance avec Anne-Marie de Couvreur, fondatrice et CEO de Mediameeting.

Pourquoi avoir interrogé le rapport des salariés français à la communication orale ?

Nous connaissons des études sur l'écrit, sur la communication interne y compris sur la vidéo mais l’oralité en entreprise est un sujet qui est très peu documenté. Nous avons voulu construire un observatoire vraiment solide, avec un échantillon très robuste : 2090 Français en méthode des quotas. Nous avons ainsi pu analyser des échantillons et des sous-échantillons et faire date, durablement, dans les études de référence en communication interne.

Nous avons voulu cette étude parce que l'oralité est en train de se développer très fortement en France et dans le monde. Le web s’oralise avec toutes les composantes du voice commerce et du voice management. On observe par ailleurs l'explosion des assistants vocaux, des enceintes connectées, et bien entendu du podcast. Il y a 18 mois, 33 millions de podcasts étaient téléchargés par les Français chaque mois. Nous sommes début 2021 et Médiamétrie précise qu'il y a désormais 100 millions de podcasts francophones téléchargés mensuellement. Nous avons voulu vérifier que l'amour des Français pour le podcast dans leur vie de tous les jours était aussi important en entreprise. Y a-t-il ce même intérêt pour l'oralité chez les Français dans leur vie professionnelle ?

La vie personnelle influe-t-elle sur les usages de la vie pro ?

Je dirais plutôt que ce sont les usages personnels qui influent sur les usages professionnels. Nous voyons par exemple que les salariés qui écoutent des podcasts à la maison veulent bénéficier de ces mêmes médias dans leur entreprise. L’étude nous révèle que 59% des collaborateurs des entreprises de plus de 250 salariés écoutent déjà des podcasts dans leur vie personnelle et qu'ils ont envie d’en écouter en entreprise. Ce chiffre passe à 70% chez les managers et 71% chez les jeunes salariés de 19 à 29 ans. Et face à cela, nous voyons que seulement 17% des entreprises françaises ont commencé à produire des podcasts. Les salariés Français veulent disposer en interne des médias qui leur plaisent dans tous les moments de leur vie. D'autant plus qu'ils sont nombreux à déclarer qu'ils écouteront de plus en plus de podcasts dans les cinq ans qui viennent. C'est un plébiscite.

Le média audio a-t-il pris toute sa place dans les entreprises ?

Il commence seulement à prendre la place qu’il mérite, puisque nous observons que moins de 2 entreprises sur 10 produisent des podcasts. C’est donc le début de l'histoire. Nous sommes dans un pays de tradition judéo-chrétienne avec une très grande culture de l'écrit, surtout dans certains métiers comme ceux du chiffre ou ceux du droit. Quand on dit d'un salarié « je vais finir par vous écrire », on sait qu'on vient de passer un cap dans la relation. Dans ce pays tout ce qui est sérieux, tout ce qui est important, historiquement c'est écrit ! Nous avons vu aussi se développer depuis une vingtaine d'années des supports d’oralité, mais via la vidéo. D'ailleurs la vidéo est depuis enseignée dans les écoles de management. Dans ce cadre là l'audio était vraiment resté très en retrait. C’était le dernier média du mix média, que ce soit en communication interne comme en communication externe. Il y a quelques années nous évaluions à moins de 11% ce nombre d'entreprises qui produisaient de l'audio. Cela est en train d'évoluer très rapidement. Toutes les entreprises sont en retard, mais oui le retard a commencé à être rattrapé et il y a encore du chemin à parcourir.

Comment les entreprises communiquent-elles depuis la crise ?

Les entreprises modifient leur communication interne depuis la crise, c'est très sensible. Elles ont évolué pour faire face aux nouveaux enjeux. Dans cette situation de crise il y a des paramètres qui se sont modifiés. Tout d'abord le télétravail qui est arrivé de façon massive. Ce télétravail auquel les entreprises n’ont pu que s'adapter, c'est la fin du face-à-face historique des affaires. Une relation qui date de toujours, à l'époque où les paysans allaient sur les marchés négocier en face à face le prix des denrées puis sceller ensuite la négociation commerciale autour d'un verre. Dans notre civilisation nous avons toujours eu une relation de négoce qui se faisait en direct. Depuis mars 2020, les relations commerciales se modifient, on passe en digital. Chacun est chez soi. Il faut réinventer un lien social, de nouvelles relations humaines et donc de nouvelles relations commerciales.

Nous avons vraiment eu affaire à trois types d'entreprises depuis 1 an. Des entreprises qui sont en surchauffe, et là je pense notamment au secteur de la grande distribution qui devait distribuer 10 millions de repas supplémentaires chaque semaine. Il a fallu alors proposer des podcasts de communication managériale avec des contenus de mobilisation. On est vraiment sur de la communication stratégique, tout à fait majeure, pour permettre à une entreprise de relever les défis qui sont devant elle, dès le lendemain matin. Deuxième type d’entreprises : celles qui continuent à travailler mais avec des salariés à distance, là je pense notamment aux laboratoires pharmaceutiques. Nous avons produit des webradios pour accompagner des salariés dans le télétravail tout au long de la journée. Et enfin, des entreprises qui se sont arrêtées, purement et simplement. Elles souhaitaient garder le contact avec des salariés qui se retrouvaient chez eux, en chômage partiel. Là il faut dialoguer, il faut aussi rassurer les collaborateurs sur l’avenir de leur entreprise et il faut surtout valoriser des équipes qui pour certaines n’ont plus le moral. À chaque fois la communication s'adapte à la nouvelle donne. Elle doit nourrir le lien social où compenser l’absence.

Le podcast d’entreprise a-t-il vraiment un avenir ?

L'oralisation de la société est en marche et le podcast d'entreprise n'est rien d'autre qu'un élément de la dynamique qui s'opère. En conséquence, l'oralisation du web est un mouvement de fond et nous ne reviendrons pas en arrière. L’audio est vraiment un média de liberté. Les Français écoutent massivement du podcast en faisant autre chose : en se déplaçant, en faisant du sport, en bricolant, en cuisinant… C'est un moyen de faire passer des messages en mobilité. C'est aussi un média qui fait passer des messages en toute discrétion et en toute élégance. On dit que le podcast c'est le 21e siècle qui chuchote à l'oreille des Français. C'est pour ça que les Français l'aiment autant, car il leur permet d'accompagner leur liberté. La liberté c'est quelque chose de très important dans notre pays, nous le voyons bien en cette période de restrictions. Il permet aussi de déployer des messages d'humanité, de fraternité, de faire passer de belles émotions. Si la question est, est-ce que le podcast à un moment va reculer en France ? La réponse est non, je suis formelle là-dessus. C'est un phénomène qui va s'amplifier. C'est un mouvement aussi fort que le développement de la radio libre en 1981. Et le podcast d'entreprise suivra cette dynamique. D'ailleurs, notre étude est très claire là-dessus. C'est la chronique d'un succès annoncé.

Vous avez lancé de nombreux podcasts de marque et de communication interne en 2020 pour des entreprises : quels sont vos préférés ?

Sincèrement, je les aime tous. Ils sont tous très différents mais répondent tous à des objectifs stratégiques particuliers. Chez Mediameeting nous démarrons toujours un podcast pour répondre à un objectif stratégique bien défini. Pour qu'un podcast soit efficace il faut qu'il soit chargé de sens. Je vais plutôt vous partager les podcasts qui sont de vrais beaux succès d'audience. Le premier c'est très certainement « Radio Team Adhérents », le podcast d'Intermarché pour ses 3600 propriétaires de magasin. C'est un véritable succès, avec 90% d'écoute dès qu’un épisode est produit en cette période de crise. Là, on est vraiment sur un média de gestion stratégique et qui communique sur de l'actualité à chaud. Il donne la parole à un dirigeant qui s'exprime avec ses tripes, qui partage des actions à mettre en place dès le lendemain sur le terrain et fait passer beaucoup d'émotion. En web-radio il y a aussi les émissions de dialogue que Carglass a réalisé pendant la crise. C’est un échange entre un dirigeant, en l'occurrence Eric Girard le Directeur Général, et ses salariés qui sont en chômage partiel. A ce moment-là l'entreprise était fermée. Les collaborateurs étaient chez eux et ont décidé de se connecter massivement pour exprimer leur inquiétude et comprendre ce qui allait se passer dans les semaines suivantes. C'est un acte de dialogue, c'est un acte de ciment social, ça c'est un podcast très intéressant !

Un troisième et dernier exemple que j'ai trouvé très beau, c'est le laboratoire Ipsen qui a décidé de lancer une web-radio pour accompagner le télétravail. C'est finalement une agrégation de podcasts avec de la musique pour accompagner l’activité des collaborateurs à la maison. La web-radio « Ipsen Ensemble » propose trois émissions par jour. D'abord un morning sur l'activité chaude, avec un format très convivial. Ensuite il y a un deuxième temps d’interactivité où les salariés déposent des dédicaces à leurs collègues. Et enfin, il y a un format de fin de journée, que l'on appelle un « drive » en radio, qui permet de faire passer des messages plus pérennes sur l'entreprise. Et c'est un format intéressant car il est disponible, tout au long de la journée en webradio avec de la musique mais aussi en rattrapage, en podcast, pour accompagner le télétravailleur à son rythme.

Pourquoi l’oralité est-elle en vogue selon vous ?

Nous sommes à la fin d'un paradigme et au début d'un autre comme l'expliquent les prospectivistes. A la croisée des chemins, nous sommes dans une période de chaos, de déstabilisation. C’est une période de crise, qui n’a rien à voir avec la crise sanitaire actuelle, mais plutôt avec une déstabilisation structurelle. Avec un stylo, nous écrivons 37 mots par minute. Quand on saisit sur un clavier, nous sommes à 80 mots minutes. Et quand on verbalise, on est à 200 mots par minute. Quand on est en période de crise comme c'est le cas en ce moment, l'oral permet de s'exprimer de façon rapide, précise tout en évitant le malentendu. Cela permet d'ajouter des précisions, des intonations qui font que le propos est compris. Le malentendu est le pire ennemi de la crise. Face à la crise on a besoin de permanence, on est passé d'un monde de certitudes à un monde d'incertitudes. Ce qui est valable aujourd'hui ne l'est plus demain, et ça c'est très fort.

On est passé sur un monde de la preuve, on ne veut plus de déclaratif. C’est un monde de l'oral, qui permet de traiter rapidement de l'actualité chaude, de se contredire si c'est nécessaire, de s'expliquer si c'est utile. La radio, l’audio, est le média numéro 1 en termes de crédibilité comme le montre l'étude le baromètre Kantar / La Croix sorti en janvier 2021. Face à la crise, on a aussi besoin de mobiliser. Bien sûr il faut une stratégie mais c'est la voix qui va permettre véritablement de galvaniser les équipes. Et enfin, l’oral va permettre d’humaniser le digital. On entend du souffle, on entend de la vie à travers la voix. D'ailleurs, dans cette période où se développe la visioconférence, nous voyons de plus en plus de gens couper la vidéo pour simplement se fier à l'audio car ils ne veulent plus qu'on envahisse leur espace psychologique par le visuel.

étude Mediameeting

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