S’ouvrir au monde pour développer son lectorat

Un plaidoyer optimiste pour la presse par Nick Blunden, éditeur de 1843, le nouveau magazine de The Economist

Vous avez peut-être été confronté, à votre grand désarroi, au discours pessimiste largement répandu dans l'industrie des médias : le climat serait particulièrement difficile pour les magazines... Rassurez-vous, quelques bonnes nouvelles viennent égayer ce sombre tableau. Le marché du luxe, notamment, recèle un certain nombre d'opportunités qui peuvent, et devraient, inciter à l’optimisme.

 Mais la véritable opportunité est de s’ouvrir au monde. Traditionnellement, l’ancrage des magazines et journaux était avant tout géographique. Le Times, à Londres, ou le New Yorker, sont de parfaits exemples de ces publications à l'audience ciblée. Aujourd'hui, les habitants les plus fortunés de différentes métropoles du monde présentent davantage de points communs qu'ils n'en partagent avec leurs plus proches voisins. Par exemple, les quartiers hipsters de Shoreditch, à Londres, et de Williamsburg, à New York, sont quasiment interchangeables. Ces similitudes sont, pour les magazines, une réelle possibilité de s'affranchir des barrières géographiques conventionnelles pour atteindre une audience nettement plus large, grâce à une ligne éditoriale centrée sur des intérêts partagés par les lecteurs du monde entier plutôt que sur une zone géographique. Cette nouvelle liberté géographique est également valable pour les publicitaires. Auparavant, les marques de luxe pensaient le monde en termes de saisons, de fuseaux horaires et de continents. Vous pouviez lancer une voiture de luxe à l'occasion du Motor Show de Grande-Bretagne ou démarrer une collection lors de la Fashion Week de New York. Mais aujourd'hui, ces marques s'adressent à une clientèle mondiale, plus vaste, et doivent par conséquent répondre à de nouveaux enjeux marketing. Preuve de cette nouvelle tendance : la décision récente de Burberry d'abandonner les traditionnelles collections de saison. Avec l'accroissement d'une clientèle aisée non-européenne et non-américaine, les marques plébiscitent de plus en plus les magazines leur permettant de toucher de nouveaux clients potentiels, indépendamment des barrières géographiques. Toutefois, contrairement aux idées reçues et malgré le succès de sites tels que Vice ou Buzzfeed, le numérique ne constitue pas le seul vecteur de croissance mondiale. En effet, l’impact de la disparition du support imprimé a été très exagéré, du moins en ce qui concerne les lecteurs les plus aisés et les publicitaires spécialisés dans les marques de luxe. Il est vrai, toutefois, que l'intérêt des lecteurs et publicitaires pour les magazines bas de gamme s’amenuise à une vitesse vertigineuse. Mais, pour ce qui est des publications haut de gamme, l'imprimé, avec tout ce qu'il comporte de charge émotionnelle, de plaisir du toucher et de manipulation d’un produit fini – tout comme le vinyle dans l'industrie musicale – demeure pertinent et conserve un attrait certain. En témoigne le succès de Monocle, qui affirme sa fidélité à l'imprimé et propose une approche insolite du numérique.

Développer le lectorat, non seulement au niveau mondial à travers des diffusions papier et numérique, mais surtout via de nouveaux formats est devenu un gage de succès pour les magazines. Malgré un marché de plus en plus concurrentiel, les meilleurs des magazines nont rien perdu de leur attrait et entretiennent, avec leur audience, un lien d'une force rarement égalée par les autres media. Évoluant aujourd'hui dans un environnement médiatique plus fluide, les magazines peuvent et doivent exploiter la relation unique qu’ils cultivent avec leur public afin de créer de nouvelles sources de valeur ajoutée pour leurs lecteurs, ainsi que de nouvelles sources de revenus. Cette stratégie s'applique tout particulièrement au secteur du luxe, dont la clientèle, composée de consommateurs aisés, exprime un insatiable besoin de nouvelles expériences, et non plus de nouveaux produits exclusivement. Les marques, quant à elles, cherchent en permanence des opportunités leur assurant une plus grande proximité avec leurs clients potentiels. Le New Yorker Festival n'est qu'un exemple parmi d'autres de la concrétisation de cette approche.

La combinaison de ces opportunités d'expansion géographique et de diversification des canaux et formats devrait permettre de générer une valeur ajoutée suffisamment importante pour donner aux magazines l’occasion d’inverser la tendance et de proposer des contenus ciblant davantage une audience plus large. Les magazines sont désormais libérés de la tyrannie qui les obligeait à traquer le plus faible dénominateur commun entre les divers stéréotypes attachés à leurs lecteurs potentiels. Ainsi, ils sont libres de se réinventer et ils devraient exploiter cette opportunité en proposant des contenus associant des domaines auparavant cloisonnés. Le magazine Porter a relevé ce défi, en associant contenu et distribution commerciale. 1843 nous permettra, nous l’espérons, de suivre leur exemple, grâce à des contenus alliant style et réflexions.

Bien que le lectorat d’aujourdhui se détourne des magazines, les publications orientées luxe disposent toujours d'un formidable potentiel : conquérir une audience mondiale, sous un format permettant d'insuffler un nouveau dynamisme à l’univers du luxe, grâce à des contenus réellement uniques. À l'évidence, cette nouvelle a de quoi redonner le sourire... et l'envie d'agir.

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