Le modèle des brand tech : gérer le temps pour accroître l’impact marketing

Réduire le temps d'attente en magasin ou sur le web permet de satisfaire les clients et ouvre de nouvelles perspectives. Par Laurent Foisset et Xavier Desmaison, co-fondateurs de Monolith Partners, brand tech agency.

Nous vivons tous un paradoxe, exprimé récemment par le sociologue Hartmut Rosa : grâce aux technologies, nous avons de plus en plus de temps libre, et nous avons pourtant une impression croissante de manquer de temps. Les marques qui utilisent le mieux la technologie sont celles qui sont capables de résoudre ce paradoxe, c’est-à-dire de réduire certains types de temps passés et de se rendre incontournable dans le temps libre additionnel.

Accompagnez-nous dans un magasin de grande distribution de produits culturels. Comme pour beaucoup de consommateurs, s’il arrive que l’on y vienne, c’est que l’on privilégie ce lieu de distribution physique par rapport à un site internet de distribution numérique parce que l’on souhaite obtenir immédiatement l’objet que l’on cherche, par exemple un ordinateur. Il faut tout d’abord sillonner dans les rayons pour choisir l’objet du désir – le choix est limité, les indications peu précises, moins précises que sur internet. Puis il nous faut attendre qu’un vendeur soit disponible et compétent (et bienveillant). Celui-ci éditera la facture, non sans avoir au préalable proposé différents produits d’assurances. Après avoir refusé poliment et muni de ce précieux sésame, nous ferons ensuite la queue une première fois pour payer, puis une deuxième fois pour retirer l’ordinateur. Enfin, un vigile bien intentionné souhaitera que nous ouvrions les différents sacs que nous portons, et regardera d’un œil soupçonneux notre ticket de caisse. Dans ce tunnel de conversion, tel que nous vous connaissons, vous aurez déjà rebroussé chemin pour commander sur internet, ou bien vous aurez le sentiment d’une expérience médiocre. Car nous vous avons fait perdre votre temps, nous avons répondu avec délai à vos demandes, on aura systématiquement cherché à vous freiner. La distribution n’est pas le seul exemple : il suffit de prendre un avion, de renouveler un passeport ou de louer un appartement pour vivre ce genre de freins. Or à chaque frein, un certain nombre de consommateurs se désengagent.

Les marques les plus puissantes et attractives aujourd’hui, que nous appelons les « brandtech », permettent au consommateur, à toutes les étapes d’une relation, d’avoir une interaction rapide, qu’il s’agisse d’achat ou de rupture de relation contractuelle. Elles se fondent sur « le rêve de la modernité » identifié par Hartmut Rosa, « que la technique nous permette d’acquérir la richesse temporelle. L’idée qui la sous-tend est que l’accélération technique nous permette de faire plus de choses par unité de temps. » Les routes sont de plus en plus rapides, les trains à hyper grande vitesse, les ordinateurs se succèdent au rythme de la loi de Moore… Les grands acteurs du numériques ont bâti leur succès sur l’immédiateté et la suppression des freins : un délai de chargement de la page, notamment sur mobile (Google et Yahoo ! ont longtemps fait leur succès d’avoir des pages très légères, conçues pour un chargement très rapide)  rapidité pour acheter (Amazon a eu comme élément déterminant l’achat en un clic, en simplifiant drastiquement les remplissages pénibles de formulaires)  rupture de l’abonnement facilitée (il est possible de rompre rapidement un abonnement à Netflix). Le « fast delivery » développé entres autres par Amazon devrait permettre des livraisons en quelques heures. Le community management s’est aussi adapté, avec la fameuse méthode du « real time marketing ». La distribution physique, quant à elle, a inventé de nouvelles formes, notamment grâce aux bornes automatiques. La commande à distance ou en borne chez McDonalds permet de réduire le temps d’attente. Même le secteur du luxe, qui a pourtant construit son succès sur des temps longs (l’attente générant du désir et rendant palpable le fait que le produit est désiré) est secoué par le débat entre anciens et modernes, à propos du « see-now-buy-immediatly » ou comment synchroniser disponibilités des produits et défilés de nouvelles collections.

Pour les directions générales et marketing, il convient de définir et mettre en place de nouveaux objectifs, process et indicateurs de réussite. Chaque interaction doit être pensée pour réduire le temps d’engagement du consommateur, pour diminuer la charge temporelle qui pèse sur lui. Les différents dispositifs, numériques et physiques doivent être interconnectés dans le sens de cette fluidité nécessaire. L’impact sur le volume d’affaire généré par cette nouvelle façon de faciliter les interactions doit être mesuré. Pour cela, une modélisation de toutes les interactions est dessinée, véritable plan de bataille de réduction de la lenteur.

Mais les marques les plus puissantes vont encore plus loin : non contentes de réduire le temps que les consommateurs jugent de mauvaise qualité, elles s’appliquent à aspirer le maximum de temps libre justement généré par cette compression du temps. La plupart des services internet s’emploient aujourd’hui à identifier des méthodes pour faire rester les consommateurs sur leur plateforme, dans la plupart des cas en leur proposant des divertissements, des contenus peu engageants et nécessitant une succession d’engagements aux délais courts. Le Stanford Persuasive Technology Lab a été créé dans ce but. L’ancien designer de Google, Tristan Harris, l’a dénoncé dans une fameuse tribune sur Medium et dans son Manifeste du temps bien employé. In fine dans une approche éthique, l’entreprise actuellement, par l’intermédiaire de ses directions du marketing et des concepteurs de produits, doit aider les consommateurs à gagner du temps, et éventuellement leur proposer des façons de dépenser ce temps gagné qui leur soit profitable et de valeur.

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