Les banques centrales et la confiance : les deux faces de la monnaie

 Fabrice Hermel

Quand vous montez dans l’avion, quand vous avalez un médicament, quand votre enfant va à l’école, ou même quand vous traversez la rue au feu rouge, vous avez besoin d’une dose d’une substance invisible mais omniprésente, gratuite mais qui « rapporte gros ». Cet élément indispensable au bon fonctionnement de nos sociétés, qui rythme en silence notre quotidien, c’est la confiance. Chacun des instants de nos vies est tissé de centaines de morceaux de confiance. C’est un pilier incontournable de nos sociétés, on ne peut vivre sans elle, et quand elle vient à manquer, les rouages se grippent. Voyez l’économie : le billet de banque est un morceau de papier qui signifie confiance (monnaie fiduciaire, le mot confiance, fides, est inscrit dans son nom). De plus en plus dématérialisée, la monnaie reste un condensé de confiance, puisqu’elle est ce qui permet l’échange entre inconnus, la circulation, la réalisation des projets. Or la confiance dans la monnaie, c’est le métier des banquiers centraux. Pour cela on a au fil des ans perfectionné le système. Ce n’est plus le poids de métal ou le profil du prince qui garantissent la valeur de la monnaie, c’est l’expertise, la fiabilité et l’indépendance des banques centrales. Ce ne sont plus des armes, c’est le temps. Ce ne sont plus seulement les interventions sur les marchés, c’est la parole : les banques centrales doivent créer et entretenir la monnaie, mais aussi ... un sentiment. Sentimentales, les banques centrales ? Non, professionnelles. Elles visent la stabilité des prix, qui a été définie comme une inflation à moyen terme, autour de 2%. Parfois l’équilibre s’établit au-dessous, comme entre 2013 et 2021, ou au-dessus, comme c’est le cas depuis 2022, mais l'important, c’est le moyen terme. Même lorsque l’inflation est beaucoup trop élevée comme actuellement, il est essentiel que la crédibilité demeure, et que les anticipations restent « ancrées » autour de 2%. Pour cela, le matériel de base de la banque centrale n’est plus le coton pour fabriquer le papier des billets, ce n’est pas seulement l’électronique de la monnaie numérique, ce sont les mots et les images : pour asseoir la confiance dans la monnaie dans la durée, les banques centrales agissent, expliquent, écoutent : elles communiquent. Ce n’est pas de l’intox ou de la fake news, c’est de la transparence. Les études permettent de déterminer, compte tenu des délais de transmission, la trajectoire des taux d’intérêt, les rythmes de hausse ou de baisse, pour parvenir au point d’équilibre le meilleur pour l’économie. Les banquiers centraux doivent parler et s’adapter pour être crédibles, et expliquer pour être compris. Vidéos, conférences, webinaires, sont venus compléter la traditionnelle boîte à outils de politique monétaire. Pour garder la confiance dans la durée, les banquiers centraux assurent également la stabilité des systèmes financiers. Par leurs règles dites « prudentielles », les banques centrales sont en vigilance constante à l’égard des établissements financiers (banques et assurances), et adoptent des mesures qui sont les « garde-fous » des autoroutes financières. L’exemple des travaux sur les crypto-actifs témoigne de notre responsabilité. Nous ne pouvons ignorer des

pans entiers de la monnaie et faire courir des risques inconsidérés aux citoyennes et citoyens sans les alerter. À chaque occasion, ils doivent pouvoir traverser au feu, en toute confiance. Mais notre pays a un déficit de confiance : malgré les difficultés, la croissance française a atteint 2,6% en 2022, avec une inflation moins élevée que chez nos voisins, et pourtant nous voyons la bouteille à moitié vide - les inégalités, le manque de moyens de certains services publics, les perspectives incertaines - et nous continuons à épargner beaucoup plus que dans les autres pays comparables au nôtre, car nous sommes inquiets. Les enquêtes et sondages montrent une méfiance globale en France à l’égard de l’État, et plus généralement du pouvoir, mais le caractère français n’exclut jamais tout à fait la confiance en l’avenir. Nous gardons un regard confiant sur demain, dans un pays aux rebonds insoupçonnés, toujours en quête de l'étoffe dont sont faits les rêves. Pour reprendre la devise « la confiance n’exclut pas le contrôle », le contrôle est désormais exercé par les citoyens. En première ligne pour inspirer la confiance, les banques centrales ont à coeur de communiquer de façon responsable en rendant des comptes au public. À l’heure de l’horizontalité, le public a soif d’informations, c’est à nous d’aller vers lui. Le rôle prépondérant des non-experts dans le monde de l’économie est très nouveau et oblige les techniciens de la monnaie, les spécialistes des statistiques, les artisans des études bancaires, les professionnels de la stabilité financière, à un travail d’adaptation pour rendre leurs sujets plus accessibles et compréhensibles. Ce défi démocratique sonne l’ère de la communic-action. Les publics veulent comprendre et souhaitent s’approprier les informations de façon avisée. Communiquer, c’est être au rendez-vous de l’accessibilité et de l’écoute de tous, dans les régions, les universités, les écoles, et partout où circule le besoin de confiance. Écouter, communiquer et rendre compte, c’est la voie d’avenir des banques centrales.

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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