La com de crise ne fait pas de miracle, le cas Magali Berdah

prevost

Grandeur et décadence de la papesse des influenceurs. Malgré la mise en œuvre d’une stratégie de communication de crise évidente qui répond aux codes du métier, la spirale infernale a entrainé celle qui était au sommet vers une chute vertigineuse. Ce cas d’école illustre un principe fondamental de la com de crise : la gestion du timing.

Tout le monde se souvient de l’irrésistible ascension il y a quelques années de Magali Berdah, celle que l’on surnommait la « Papesse de l'influence », à la tête de la première agence d’influenceurs de France, Shauna Events, représentant de nombreuses célébrités de la télé-réalité. A la fin de la décennie 2010, entre 2018 et 2019, Magali Berdah commence à sortir de l’ombre et à afficher sa réussite dans les médias. Par la suite, une fois fortune faite entre Paris et Dubaï, la suite logique pour celle à qui toutes les portes s’ouvraient était la quête du pouvoir alors qu’elle commençait à mettre en scène sa proximité avec certains membres du Gouvernement entre 2020 et 2021, allant même jusqu’à couvrir la campagne présidentielle de 2022 en interviewant les principaux candidats. Néanmoins, un grain de sable est venu gripper cette mécanique bien huilée et qui semblait jusque-là inarrêtable vers la politique. Mais le grain de sable en question n’est autre que la plus grande star du rap français, artiste prolifique depuis près de 30 ans et dont la science du clash est l’une des marques de fabrique (RIP La Fouine et Sinik) : Booba, aka le « Duc de Boulogne », exilé à Miami depuis de nombreuses années mais hyperactif sur les réseaux sociaux. Pour ces deux ambitieux, la route vers le succès était toute tracée, malgré des démêlés respectifs avec la justice au cours de leurs vies professionnelles

Retour sur la genèse de cette crise hors du commun

En décembre 2021, Marc Blata, candidat de téléréalité et influenceur installé à Dubaï, publie un tweet accusant Booba d'avoir exhibé une montre de contrefaçon lors d'un shooting photo. Ce crime de lèse-majesté, pourtant monnaie courante sur les réseaux sociaux (poke @FakeWatchBuster), va laisser des traces. Touché dans sa fierté, celui qui affiche un train de vie bling-bling contre-attaque et se lance dans une croisade contre les influenceurs issus de la télé réalité. Depuis, le rappeur se définit volontiers comme un « lanceur d’alerte » et s’en prend à celle qu’il considère comme l’origine du mal : Magali Berdah. Régulièrement prise à partie sur Instagram, Magali Berdah porte plainte pour cyber harcèlement en mai 2022. Dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux, elle affirme « avoir été la cible de propos antisémites, de menaces de mort, de décapitation, de lapidation, de viol, ainsi que d'invitation au suicide par des internautes suivant le rappeur qu'elle qualifie de "meute haineuse" ». Booba réplique en attaquant Magali Berdah pour diffamation et dénonciation calomnieuse. Il dépose également deux signalements auprès de la DGCCRF contre Shauna Events et contre X. La guerre est déclarée et Instagram est devenu l’outil de communication privilégiée de cette rivalité. 

Épisode 2 : le contournement d’Instagram

Le 11 juillet 2022, la patronne de Shauna Events obtient la suspension du compte Instagram @oklm de Booba. Dans la foulée, il revient sur Twitter et poursuit sa campagne de dénigrement en lançant le #influvoleurs et en ouvrant une boîte mail « Influvoleurs2022 » pour de collecter des témoignages de victimes avec le concours de son avocat, le très médiatique et proche du PS, Me Patrick Klugman. Le politique est ainsi invité à rejoindre le ring à l’invitation du rappeur. Au cœur des reproches adressés aux influenceurs, la pratique controversée du dropshipping et les arnaques au CPF et aux aides aux entreprises lors de la pandémie de Covid-19. Une semaine après le 19 juillet, c’est au tour du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, d’entrer dans l’arène en publiant un thread sur Twitter détaillant la volonté du Gouvernement de lutter contre les arnaques en ligne afin de protéger les consommateurs. En communication de crise, on considère souvent que lorsque le politique se mêle de votre sujet, la situation est particulièrement critique et le point de non-retour est atteint.

Le pic de la crise et la fabrique de l’opinion

Le climax est proche lorsque le quotidien classé à gauche Libération publie le 28 juillet en une un papier intitulé « Arnaques, frime et putaclics : Booba vs les influenceurs » avec une couverture reprenant les codes des réseaux sociaux avec une photo de la très photogénique skyline de Dubaï en toile de fond. Cette longue enquête va donner un surcroit de visibilité à cette guerre d’égo et mobiliser les communicants pour la gestion de ce qui est devenue la crise médiatique de l’été. Les médias comme TPMP ou  Quotidien relaient régulièrement les rebondissements de l’affaire. Le coup de grâce à l’encontre de Magali Berdah est porté à la rentrée avec la diffusion d’un numéro spécial du magazine Complément d’Enquête présenté par le journaliste Tristan Waleckx sur France 2 et intitulé « Arnaques, fric et politique : le vrai business des influenceurs », présentant des similitudes avec l’enquête de Libération, y compris dans le choix des mots utilisés pour décrire les influenceurs. Pour rappel, la diffusion de ce reportage le 11 septembre avait été exceptionnellement décalée un dimanche en raison du décès de la reine d’Angleterre Elizabeth II (la fameuse concurrence des actualités si chère aux communicants en charge de médiatiser l’exposition dans le film suédois The Square), apportant un regain de visibilité sur le sujet après un long teasing sur les réseaux sociaux pour le journaliste et Booba. Ce reportage est un véritable camouflet pour la patronne de Shauna Events dont les interventions sont vivement critiquées en live sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter, et deviennent même une source de mèmes avec le fameux épisode de la tendinite. En effet, interrogée par le présentateur sur le placement produit d’une montre connectée qu’elle ne portait pas (elle portait en plateau une Audemars Piguet en or rose estimée à plus de 100K€), Magali Berdah s’est justifiée en déclarant : « j’ai une tendinite au bras ». Des paroles reprises instantanément sur Twitter et notamment par les community managers de nombreuses marques qui ont largement surfé sur le « buzz de la tendinite ». Erreur de communication ? Dans la précipitation et dès le lendemain le 12 septembre, Magali Berdah se justifie sur l’invocation de la tendinite dans une vidéo Brut où la tentative de containment échoue, les explications manquant profondément de conviction et de sincérité. 

Quelques jours après, le timing se resserre. La stratégie de communication mise en œuvre s’emballe avec l’organisation d’une conférence de presse depuis l’hôtel Hilton Paris Opéra dès le 14 septembre, une tentative de reprise en main de la communication presse qui intervient malheureusement trop tard. De même, Magali Berdah publie le 29 octobre une tribune dans le JDD appelant les autorités à rompre le statu quo et à réguler le business des influenceurs. Intitulée « Régulons le monde de l’influence ! », cette tribune de fond et met en avant une posture constructive de proposition politique à l’attention des décideurs publics mais intervient encore une fois trop tard, plus d’un mois après le fiasco de la diffusion du reportage de France 2. 

Le prisme de la communication de crise

La conclusion de cette séquence de communication de crise, qui aura duré tout l’été, s’est soldée par l’application du worst case scenario, le scenario du pire en communication de crise, ce que l’on souhaite éviter à tout prix. A savoir dans le cas présent, le retrait pur et simple de la société Banijay de l’agence Shauna Events, son principal actionnaire, annoncé officiellement le 7 novembre (soit près d’un an après le premier tweet moqueur d’un influenceur sur la fausse montre de Booba). La société de Stéphane Courbit (56e fortune de France) compte parmi ses actionnaires des poids lourds du divertissement comme Vivendi, Nagui ou encore Cyril Hanouna, et était directement mise en cause dans le reportage de France 2. Selon Le Parisien, Banijay souhaite désormais se tourner « vers une influence plus éthique, autour des candidats d'émissions moins sulfureuses, comme Koh-Lanta ou Miss France ».

La première leçon à retenir de toute cette histoire rocambolesque est qu’une stratégie de communication de crise doit se préparer bien en amont de toute crise, quand tout va bien et que l’on a le temps, qu’elle requiert un haut niveau de préparation et une certaine dose d’introspection pour identifier les zones d’ombres et les points faibles de son organisation. Le plus souvent, l’aide d’un expert extérieur permet de mieux faire cette évaluation des risques en évitant le biais de perception propre à chacun. En outre, la mise en place d’une veille off et online doit permettre d’identifier les signaux faibles afin de déclencher le plus tôt possible une réponse graduée et adaptée au degré de criticité de la situation, avec une anticipation systématique d’une aggravation de la crise. 

L’autre leçon de cet épisode est qu’une intervention média en temps de crise ne s’improvise et doit être préparée le plus en amont et avec le plus de sérieux possible. L’improvisation n’a pas sa place en communication de crise. En outre, la posture d’être force de proposition pour régler une crise est une étape nécessaire qui doit intervenir le plus rapidement pour montrer un haut niveau de maitrise de la situation car la communication de crise, c’est la communication de l’action (pas de la victimisation). La tribune du JDD aurait dû être publiée dès le début de l’été au lieu d’alimenter le clash avec un chanteur dont c’est l’une des spécialités et qui sera toujours en quête de visibilité tant qu’il aura des albums à vendre. 

Comme le dit le proverbe anglais, une mer calme n’a jamais fait un bon marin.

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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