Un « permis de douter » 

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Il se pourrait que cette année 2024 bouscule quelques certitudes sur des situations que nous tenions pour stables, pour ne pas dire immuables. Et qu’en découle un appel d’air propice à du renouveau, ou du moins à des questionnements. Trois phénomènes se combinent qui livrent des indices de ce mouvement.

A l’échelle des macro-marqueurs, des turbulences doivent nous donner à réfléchir. Le commerce mondial, à peine sorti d’une pandémie planétaire, reste contracté et ses prévisions sont incertaines. Les valeurs de notre modèle occidental subissent une dialectique parfois brutale de ce qu’il est désormais convenu d’appeler un "Sud global". Des arbitrages difficiles sont en cours, qui ralentissent les ambitions de la transition écologique dont l’enjeu fait pourtant consensus, pour libérer de la pression sur les normes et infléchir certaines politiques publiques. L’Allemagne, que les Français connaissaient si puissante, vient d’entrer en récession...

Besoin de pause

A notre échelle professionnelle dans le même temps, celle de la communication corporate et des marques, nous recevons un signal suffisamment inhabituel pour qu’il soit relevé : un besoin de pause. Le dernier rapport d’analyse de l’agence VML* – The Future 100, Tendances et changements à suivre en 2024 – nous interpelle : « l’aspiration à une vie de meilleure qualité passe sans doute par un grand coup de frein. L’année qui s’annonce promet une réflexion plus profonde et une prise de conscience accrue, un désir de ralentissement". On ne lit pas cette tendance comme le retour du "slow" que nous avons exploité mais comme un besoin plus profond.

A l’échelle des technologies enfin, l’arrivée des intelligences artificielles à usage commercial va rebattre des cartes sans qu’il soit encore vraiment possible d’identifier où des opportunités massives vont s’exprimer. Nous pourrions sortir du modèle rendu possible par les plateformes, comme l’ubérisation (mise en relation directe d’un client et d’un prestataire) ou le "Everything as a Service" (transfert d’une économie de la possession vers une économie de l’usage). Pour aller vers une évolution ou une rupture ?

Pour nous qui opérons dans le champ de la communication d’entreprise, comment pouvons-nous intégrer ce triple phénomène ? Deux attitudes sont possibles.

La nostalgie des certitudes perdues : c’est la tentation du repli sur un "avant plus lisible" dont on peine à faire le deuil. Une attitude réconfortante, qui nous fait nous sentir aux commandes ("on gère malgré tout"). Elle nous rattache à nos repères connus et largement partagés pour piloter des stratégies de communication et de réputation prédictibles. C’est le choix du confort en attendant de voir, de l’envie de nous rassurer en récitant nos fondamentaux.

La liberté de la page blanche : c’est répondre à l’appel de la mutation, la prendre à bras le corps. C’est imaginer quels nouveaux repères s’imposeront pour inspirer nos pratiques. C’est aussi accepter la part de flou qui accompagne ces changements tant que nous manquons de recul. Revoir sa copie, recommencer. Mais la page blanche est évidemment aussi un moment de liberté. Puisque des changements s’amorcent autour de nous, qui vont impacter l’entreprise et la société, et puisqu’une propension au ralentissement peut nous libérer d’une certaine pression, le moment n’est-il pas venu de repenser la relation à nos parties prenantes ? Elles qui se trouvent dans le même mouvement ont peut-être des attentes qui changent justement. Qu’est-ce que nous risquons à tenter d’autres expériences avec nos communautés ? Plus le changement est mutualisé, moins il expose à un faux-pas en testant juste un peu plus loin que d’habitude de nouvelles idées.

On s’abstiendra de parler ici de "réarmer la communication d’entreprise" selon une formule en lice pour le prix des expressions de l’année 2024. Dans ce moment de tournant-ralentissement, nous serions plutôt tentés de revendiquer un authentique "permis de douter" pour échapper à la facilité du pré-pensé et stimuler la créativité. Et de choisir, plutôt que de subir les fatigues du rythme de la communication en perpétuelle recherche de nouveauté. Un doute moteur et nourricier, qui interroge et fait avancer. Ni un diktat, ni une paresse, simplement une attitude positive et assumée. Pour un planning stratégique à hauteur d’homme : sensible, ce qu’il faut d’inquiet pour rester humble, exigeant et innovant. Et animé toujours par une indéfectible envie d’aider à comprendre !

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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