Publicité digitale : moins de data, plus de pertinence

Jean-Philippe Caste
(© daehanphotography)

Apple temporise, mais ne cède pas : ce sera finalement début 2021, et non tout de suite, que les développeurs d’applications devront demander aux utilisateurs d’iPhone ou iPads leur autorisation pour pouvoir les « pister », et leur adresser des publicités ciblées au sein de leurs applications. Ces quelques mois de sursis, accordés par Apple pour permettre aux développeurs de s’adapter, ne changeront pas grand-chose au final : les grands acteurs de l’écosystème publicitaire anticipent déjà qu’une majorité d’utilisateurs refusera ce pistage publicitaire, privant les développeurs d’applications d’une bonne partie de leurs revenus. Facebook, notamment, a annoncé qu’il estimait à 50% la baisse des revenus pour Audience Network, son outil publicitaire pour les éditeurs et les annonceurs. Cette décision d’Apple vient compléter un arsenal déjà bien fourni de lutte contre les excès du ciblage publicitaire : la liste des navigateurs qui limitent ou interdisent l’usage des cookies tiers ne cesse de s’allonger, ce qui fait évoquer à certains un monde dans lequel l’utilisation de la data deviendrait à peu près impossible.

Mais il ne s’agit pas pour autant de revenir à un monde publicitaire « à l’ancienne », avec des annonces diffusées en masse, sans ciblage et donc sans grande efficacité. Si protéger la vie privée du consommateur s’impose comme parfaitement légitime, il existe malgré tout d’autres moyens que le « pistage » intrusif pour lui proposer la bonne annonce, au bon moment et surtout dans le bon contexte. Et ce, grâce à l’Intelligence Artificielle (IA). C’est notamment sur l’IA que se base la publicité hyper-contextualisée.

Une communication efficace, c’est d’abord le choix du bon contexte

En clair, c’est l’IA qui permet de déterminer le moment opportun pour proposer à l’utilisateur une annonce publicitaire réellement intéressante pour lui. En se basant, non sur ses données personnelles ou son historique de navigation, mais sur le contenu qu’il consulte, à l’instant T. Il est en effet logique de considérer que l’utilisateur qui lit un article, par exemple, sur les dernières évolutions en matière automobile, sera susceptible d’être intéressé, à ce moment précis, par une proposition d’assurance auto ou d’abonnement à un parking. Sujets qui pourront ne plus l’intéresser, un mois plus tard, alors que ses données socio-démographiques seront toujours les mêmes. Il sera simplement passé à autre chose, et ne consultera plus de contenus sur ce thème. Inutile donc de le poursuivre avec des annonces qui lui sembleront, au mieux, inutiles, et au pire -et souvent- agaçantes : 62% des Français jugent déjà la publicité digitale trop intrusive [1].

Au final, cette limitation de l’usage des données pourrait devenir une bonne nouvelle pour tout le monde : pour l’utilisateur, qui a besoin de retrouver de la confiance dans les sites et applications qu’il consulte, sans avoir le sentiment que ses données se retrouvent constamment vendues au plus offrant, et sans son consentement. Et pour l’annonceur, qui adoptera des outils plus subtils, capables d’analyser et d’interpréter un contexte dans lequel son annonce sera perçue comme utile. Une nécessité encore plus prégnante aujourd’hui : en cette période de crise sanitaire, 67% des Français demandent aux marques, avant tout, de se montrer utiles dans leur vie quotidienne [2]. C’est-à-dire de se montrer présentes, avec une offre précise, claire et adaptée, quand ils estiment en avoir besoin. Et de ne pas les solliciter à tort et à travers, le reste du temps.

Annoncer dans un contexte précis, basé sur une analyse fine du contenu, offre à l’annonceur un autre avantage essentiel : il contrôle l’environnement dans lequel son message apparaît. Une sécurité essentielle en ces temps de prolifération des “fake news”. S’afficher aux côtés d’informations fausses ou manipulées peut durablement écorner l’image d’une marque. Tout comme une annonce trop décalée apparaissant aux côtés d’une information anxiogène : elle peut engendrer un rejet de la marque par l’utilisateur, qui jugera cette communication déplacée ou opportuniste. Alors qu’il aurait pu apprécier cette même annonce aux côtés d’un contenu divertissant.

Cette attention portée au contenu, au contexte, est certes facilitée par l’IA et par les outils qu’elle permet de développer. Mais si la publicité hyper-contextualisée se développe aujourd’hui, ce n’est pas uniquement grâce à ses atouts technologiques, ni à cause d’un durcissement de la réglementation de l’usage de la data : c’est avant tout parce qu’elle correspond aux attentes de l’utilisateur, aujourd’hui bien plus mûr face à l’environnement digital. Il a intégré le fait qu’un contenu de qualité ne pouvait pas être proposé gratuitement, et que la publicité devait servir à le financer. Il demande, simplement, à être respecté par des annonceurs qui tiennent compte du moment auquel ils s’adressent à lui. C’est finalement ce que chacun d’entre nous demande, au quotidien, aux autres êtres humains. Et c’est à cette condition que nous pouvons engager un vrai dialogue. Avec nos semblables, ou avec une marque.

[1] CSA Research – étude "Media Impact" mars 2019

[2] Kantar – mars 2020

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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