De l’ultrafragilité à l’antifragilité 

Olivier Breton

Nul ne niera l’extrême fragilité qui est devenue, au fil des générations, nôtre. Et en ces temps de pandémie et d’évolutions sociales accélérées, notre moindre résistance à la douleur et à la contrainte nous expose cruellement. Elle se traduit notamment par la désespérance des générations montantes (les 15-25 ans sont 6 à 8 fois plus dépressifs que ceux de 1938 et selon l’OMS 30% des 15/30 ans souffrent de troubles psychiques), par des taux de suicide en hausse, par une intolérance à la transformation doublée de stress traumatiques, de  troubles cognitifs, d’un narcissisme exacerbé, d’une incapacité de plus en plus répandue à dominer ses émotions, ou encore de tendances à l’individualisme forcené, à des à un esprit critique ou agressif systématique, à un repli vers des postures victimaires chroniques, réelles ou fantasmées …. … La multiplication de ces désordres s’aggrave et met en valeur ce qu’il est bien convenu d’appeler notre ultrafragilité. 

Les causes en sont connues. On peut les résumer par le concept de Alain Damasio le « technococon » : cette sphère technique et virtuelle qui nous protège et nous coupe du monde.  L’accélération des transformations de l’environnement familial, social, économique, culturel et spirituel a été plus vite ces dernières décennies que dans toute l’histoire de l’humanité. Et si l’explosion de l’accès à l’information, et de la connaissance grâce à internet ainsi que les progrès de la science et de la médecine sont bien réelles elles ne sauraient compenser l’explosion du chômage, l’omnipotence et l’omniprésence des réseaux sociaux, ni l’évolution radicale des structures familiales. 

De là à sombrer dans la collapsologie, il n’y a qu’un pas. Un pas que la Covid-19 nous invite à franchir en projetant les scénarios prospectifs d’une multiplication des crises systémiques, globales et imprévisibles. À cela il n’existe qu’un remède l’Antifragilité. Concept inventé par le philosophe Nassim Nicholas Taleb selon lequel un système peut apprendre et évoluer grâce aux coups qu’il subit, s’ils ne sont, ni trop fréquents, ni trop intenses. À cette condition l’organisme va non seulement s’en remettre mais aussi se renforcer. Et c’est bien à cette phase de l’histoire que nous sommes. Les crises que nous traversons nous ont fait prendre conscience de notre fragilité. Mais le fait que nous les canalisions et les réfléchissions est le signe que nous apprenons et que nous progressons. 

Cela nous oblige à adopter un comportement nouveau. D’abord accepter que la vie est faite d’incertitudes, se confronter à des défis personnels mesurés et réguliers, sortir de sa zone de confort, multiplier les sources de connaissances et de revenus, refuser les appels au conformisme, accepter erreurs et échecs qui sont autant d’occasions de se réorienter, adopter l’esprit « lean start up » (un système petit est beaucoup plus anti fragile qu’un plus grand), procéder au quotidien par itération successives, éliminer tout ce qui concourt à sa fragilité (habitudes, évidences, idées arrêtées), bref s’adapter, se préparer aux chocs, et accepter les crises comme moteur de l’histoire.  

Nos Agences souvent faites de certitudes sont par trop statiques et conservatrices. Elles sont déboussolées par trop d’imprévus alors qu’il leur revient de les réfléchir et d’emmener leurs annonceurs à les dépasser. Elles devraient réfléchir à de nouveaux modèles et installer entre elles un esprit de coopération (community resilience) plus que de compétition. Des mots bien nouveaux pour nombre d’entre nous qui sont pourtant la solution pour dépasser ensemble les défis qui nous sont imposés. C’est ainsi qu’on retrouvera efficacité, et rentabilité. 

La vraie modernité aujourd’hui n’est pas d’en appeler à l’Hubris, au vouloir toujours plus, et céder à l’illusion d’une croissance infinie, mais bien plutôt de devenir des coopérateurs empathiques en s’inspirant de la permaculture (toutes les solutions sont petites et lentes et doivent s’inscrire dans la durée : rien n’est illimité) et de la convivialité au sens d’Ivan Illitch : l’innovation doit rester conviviale, être plus libératrice qu’aliénante. C’est une question sociale et politique que seule une Agence « human centric » peut relever. 

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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