Les régies TV ont les défauts de leurs qualités

5 experts medias

Cinq experts d'agences médias décernent leurs bons et mauvais points

Nous avons demandé à 5 représentants des agences médias les principales qualités des grandes régies publicitaires de l’audiovisuel et leurs principaux défauts. Côté positif, l’écoute, l’adaptabilité et l’expertise ressortent. Côté négatif, elles soulignent toutes leur complexité, avec des nuances cependant.

Réactives, adaptatives, résilientes et très expertes

« La qualité historique des régies TV est leur capacité à fournir énormément d’analyses sur leur média. Elles ont beaucoup d’expertise et d’intelligence média. Science du coût au GRP, construction de la couverture, capacité à associer de l’efficacité vente à de l’exposition publicitaire… ce sont les régies TV qui ont le plus développé cela. Aujourd’hui un commercial de régie TV ne fait pas juste du commerce, il doit être aussi très expert. Les régies TV ont des chiffres d’audience quotidiens, minute par minute. Elles sont réactives, adaptatives et résilientes.

Leurs défauts : comme la TV a été un média roi pendant longtemps, mais qui commence à être un roi contesté, elles sont un peu assises sur leurs acquis et n’ont pas fait le virage digital aussi bien que d’autres régies – par exemple celles issues de la presse qui ont fait un virage digital beaucoup plus spectaculaire et rapide.

Sont-elles à l’écoute de nos besoins ? Cela dépend des régies. Certaines – qui se reconnaîtront – sont centrées sur les annonceurs et s’intéressent peu aux agences. D’autres régies sont très équilibrées : elles voient à la fois les annonceurs et les agences. C’est pour moi celles qui font bien leur travail. Dans leurs relations avec les agences, il y a les enjeux court terme de trading – la proximité avec les acheteurs – et les enjeux de long terme, c’est-à-dire la proximité avec les équipes stratégiques afin de leur proposer des dispositifs innovants et intéressants pour les marques. Toutes les régies n’ont pas la même façon d’aborder ces enjeux, les meilleures étant celles qui arrivent à combiner les deux. Parmi les 5 grandes régies TV, il y en a que je n’ai pas vues en 2023. Et d’autres que j’ai vues souvent, avec lesquelles nous avons monté des beaux projets. […] Pendant de nombreuses années, nous avions le sentiment que la compréhension et l’optimisation des CGV ressemblaient à un jeu d’échecs. Dans leurs dernières CGV, les régies ont cherché un peu à décomplexifier les choses, ça va plutôt dans le bon sens. »

Pascal Crifo, président de Blue 449 (Publicis Media)

Pascal Crifo

Le point négatif, c’est la partie digitale

« Leurs qualités ? En premier je dirais la souplesse, l’écoute et l’adaptabilité par rapport aux briefs qu’on a pu leur faire notamment au 1er semestre 2023. Sur cette période, tous les signaux étaient au rouge et nous avons vraiment senti un accompagnement de leur part. Même si je pense que c’était pour rentrer du budget sur le 2e semestre.

Le point négatif, c’est la partie digitale dans les négociations TV qui est ultra-poussée en termes d’investissements : on nous demande beaucoup mais les incentives – en tout cas les premiers retours – ne sont pas à la hauteur de la demande de volume supplémentaire. […]

Il y a quand même une tendance à l’homogénéisation dans un souci de simplification des CGV. Depuis plusieurs années, elles essaient d’aller dans le sens des demandes des agences à ce sujet. En revanche, pour 2024, on sent la volonté de développer chacune sa partie digitale. Et c’est là que l’on rentre dans la complexité puisque chaque régie a ses propres modes de commercialisation et son approche sur le global vidéo. »

Céline baumann, Head of Magna, Mediabrands

Céline Baumann

Il n’y a pas de petits clients

« En tant qu’agence média, je trouve que leur première qualité est l’écoute de nos problématiques clients, même si elles n’ont pas forcément la bonne solution. Quel que soit le niveau de notre interlocuteur, du patron de la régie au commercial, et quelle que soit l’importance du client concerné. Il n’y a pas de petits clients. Elles ont compris que chaque euro compte. Et c’est une qualité commune à toutes les régies.

Leur défaut : elles sont bien souvent dans la réaction plutôt que dans l’anticipation. Cela crée des crispations côté annonceurs. Les régies qui demandent de la visibilité aux annonceurs n’en offrent pas forcément, ce qui est un peu paradoxal. Par exemple, pour le mois de septembre 2023 qui était très encombré, toutes les régies ont réajusté leurs conditions (10 % à la hausse) vers mi-juillet et les annonceurs se sont retrouvés devant le fait accompli. Pas facile de changer sa stratégie de rentrée à la mi-juillet…

Deuxième défaut : la complexité de la mécanique de l’achat pub TV. Les régies ont mis en place des usines à gaz. Chez l’annonceur, un directeur marketing aujourd’hui a un budget, une ou plusieurs cibles, et veut connaître sa pression publicitaire. Il ne se soucie pas de maîtriser tout le mécanisme de l’achat TV, de savoir si tel ou tel écran entre dans telle ou telle catégorie, offrant ou non une garantie. Au sein des régies, il manque des gens qui viennent des agences médias ou des annonceurs. Chaque régie oublie qu’elle est dans un écosystème global et pense comme si elle était toute seule sur le marché. Chacune y va de sa spécificité et c’est ça qui crée une usine à gaz.»

Olivier Roberdeau, Head of Multiscreen, Mindshare

Olivier Roberdeau

La complexité des CGV est un gros handicap

« Globalement, nos interlocuteurs en régies sont très réactifs. Le marché est dans le flou depuis plusieurs années et le restera. Cela a provoqué cette nécessité côté régie – il faut les louer làdessus – d’être réactif, d’être toujours à l’écoute et dans la préservation des intérêts des annonceurs (qui les font vivre, n’oublions pas). Et je trouve qu’elles sont plutôt à l’écoute, qu’on arrive toujours à trouver des solutions. Elles sont plutôt dans une logique de vouloir servir tout le monde convenablement. Mais elles n’ont pas toutes les mêmes règles d’application des conditions commerciales (abattement direct vs usage des gracieux par exemple). Ce qui peut influer sur les décisions d’orientation budgétaire.

Elles sont toutes obligées de faire feu de tout bois, de renforcer leurs solutions par de la data, de l’écoute, de la compréhension, de la réactivité… 2024 démarre mollement.

Elles sont quand même en grand danger. La plupart des annonceurs veulent regagner à travers les plateformes et solutions alternatives les contacts perdus en linéaire. […]

La complexité des CGV est un gros handicap pour nous. Ça fait des années qu’on réclame une simplification qui n’arrive pas, même si c’est le leitmotiv des régies. Ce métier n’a fait que se complexifier. Peut-être un jour l’espace TV sera vendu uniquement au CPM et en programmatique. Et là ce sera on ne peut plus simple. Mais je ne sais pas si c’est souhaitable et je n’y crois pas. Il y aura toujours le besoin pour certains annonceurs d’être dans la dentelle et la recherche de qualité. »

Philippe Bigot, Head of Video chez Havas Media France

Philippe Bigot

Les discussions sont devenues très longues

« L’achat TV est devenu extrêmement compliqué. Dans une négociation aujourd’hui, les réponses prennent deux pages. Comme les régies sont suffisamment expertes – et c’est leur principale qualité –, je pense qu’on se comprend mais on reste quand même tous campés sur nos positions. Les discussions sont très longues, très compliquées, très techniques. Le service commercial de la régie demande à son ADV [ndlr : administration des ventes] ou à son Revenue Management de lui préparer les réponses. Cela donne une relation à trois qui n’existait pas à l’époque où nos relations étaient davantage commerciales que techniques. »

Anne Thétier, directrice générale trading, OMG

Anne Thetier

 

Cet article est une reprise du CB News de février. Pour vous abonner au magazine, c'est par ici.

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