Ben Page (Ipsos) : "Nous aurons toujours besoin de parler aux gens pour savoir ce qu’ils pensent"

Ben Page

Rencontre avec le directeur général du groupe spécialiste des études de marché lors des derniers Cannes Lions. L’occasion de faire un point sur l’évolution du métier face à la digitalisation et à l'intelligence artificielle.

Ben Page : Nous allons très bien. Notre croissance a été de 12 % l’an dernier, de 17 % l’année précédente. Comme l’ensemble de l’industrie publicitaire, nous avons constaté un ralentissement à la fin de l’année dernière. Les grandes plateformes comme Google et Meta ont ralenti l’année dernière et se sont restructurées. Pour 2023, nous maintenons notre prévision de croissance organique de 5 %, ce qui est conforme à la tendance du marché publicitaire. D’un point de vue macro-économique. Mais je pense surtout que les années 2020 seront particulièrement compliquées, particulièrement en Europe pour toute une série de raisons. Le vieillissement de la population, la dette des États, l’inflation persistante, la montée en puissance de l’intelligence artificielle qui pose des questions sur le marché du travail, la transformation énergétique, à quoi s’ajoutent des populations qui manifestent de plus en plus brutalement sa colère face aux changements, tout cela rend le futur particulièrement incertain. Cette incertitude conduit les Entreprises et Institutions Publiques a sollicité Ipsos pour mieux comprendre cette environnement et prendre de bonnes décisions. Comme le disait Antonio Gramsci, « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Nous passons d’un monde qui était proche du libéralisme avec la conviction qu’il fallait abattre toutes les barrières au commerce à une société qui reconstruit des frontières. Le Brexit, la réindustrialisation des pays occidentaux qui ne veulent plus dépendre de la Chine, participe à ce mouvement. Il y a une plus grande attente de protection sociale de la part des populations.

CB News : Qu’est ce qui la crise sanitaire a-t-elle changé la demande de vos clients ?

Ben Page : Non, pas vraiment. Ils veulent naturellement savoir ce qu’il va se passer. Peut-être plus rapidement qu’auparavant parce que tout va de plus en plus vite. La digitalisation de l’économie qui s’est accentuée avec la crise sanitaire, a clairement accéléré les mouvements.

CB News : Et pour vous, est-ce que la transformation digitale a changé votre business ?

Ben Page : Notre travail est de toucher les gens où qu’ils soient. Et pour cela, nous continuons à croire qu’il faut parler aux gens pour savoir ce qu’ils pensent. Or il y a encore un tiers de la population mondiale qui n’est pas connectée. Nous développons des outils pour permettre à nos clients de toucher les gens par téléphone. Nous mettons ainsi à la disposition de nos clients, un service en SaaS baptisé Ipsos Digital qui est passé de 7 millions de chiffres daffaires clients il y a trois ans à 100 millions prévus pour cette année. Ce service permet d’obtenir des résultats très rapidement et répond aux attentes du marché. Notre capacité à toucher les gens partout est certainement notre meilleur atout. Nous avons ainsi le « KnowledgePanel » qui s’appuie naturellement sur des données digitales. Mais nous avons aussi des adresses de gens qui ne sont pas connectés. Et si nous trouvons une vieille dame dans la France profonde qui n’est pas connectée, nous allons la voir et nous lui proposons de lui installer Internet et de lui donner une tablette pour qu’elle puisse répondre à nos questions. Cela nous permet de mettre à disposition de nos clients – du gouvernement à Google- des datas très représentatives, très complètes en temps réels. Nous faisons la même chose en Inde.

CB News : En quoi l’intelligence artificielle peut-elle changer votre métier ?

Ben Page : Cela change déjà énormément de choses en matière de traduction automatique en temps réel. C’est un immense gain de productivité. Cette interview par exemple, vous pouvez la confier à un logiciel qui va la décrypter, la traduire et en garder les meilleures parties (ce qui n’a pas été fait, NDLR). Nous avons plus de 190 personnes qui travaillent sur ces sujets et mon objectif est qu’avec de tels outils, les 19 000 personnes qui travaillent pour nous soient plus productives. Pour le moment, nous sommes de la phase enthousiaste de la découverte de l’AI, puis il y aura la désillusion et enfin le réalisme.

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