Pierre Calmard : « faire de dentsu le champion de l’ère post-publicitaire »
En pleine crise sanitaire, dentsu France se transforme en profondeur. Réduire et fusionner son nombre d’entités, mode de management, déménagement, développement durable et États généraux de la communication, son président-directeur général Pierre Calmard détaille ce changement d’ère. Interview.
CB News : L’année 2020 n’a été simple pour personne. Comment dentsu France a traversé cette période ?
Pierre Calmard : Nous avons appris très vite à travailler dans cette situation. D’un point de vue opérationnel, nous avons réussi à gérer la situation de façon quasi-normale, en soutien à nos clients. La communication n’a pas été rompue. En termes d’investissements, le marché a été globalement dans une tendance effectivement baissière. -23% en valeur, selon les données Kantar. 7 milliards € qui se sont envolés en un an. La fin de l’année a été meilleure. En valeur, nous avons pu retrouver non pas de l’allant, mais en tout cas nous avons pu limiter les dégâts. Mais il y a dans cette situation, à mon avis, un effet en trompe-l’œil qui a masqué une autre réalité : une forme de rejet de la publicité, notamment révélée la Convention Citoyenne. Beaucoup de consommateurs ont aujourd’hui une forme de ras-le-bol de cette publicité telle qu’on la pratique depuis le 20ème siècle, à la fois très interruptive et jugée polluante au sens propre et figuré. Nous devons absolument intégrer cela en tant que professionnels de la communication.
CB News : Comment répond-on à ces enjeux ?
Pierre Calmard : Dès que j’ai pris la direction de dentsu France le 1er octobre 2020, ma stratégie a été radicale en la matière avec l’ambition de préparer une nouvelle ère de la communication. Il faut qu’on la réinvente. Ce que je veux faire de dentsu en France : le champion de l’ère post-publicitaire. C’est notre stratégie.
CB News : Le groupe Dentsu a annoncé sa volonté de consolider au niveau mondial l’ensemble de ses marques en seulement 6 marques. Que va-t-il se passer en France ?
Pierre Calmard : Cette entrée dans ce que j’appelle l'ère post-publicitaire repose sur un constat qui est celui du changement des consommateurs. Et il s’articule en 3 mots. Responsabilité : le consommateur veut des marques responsables ; simplicité : nous sommes à l’ère des interfaces et de la fluidité de l’expérience ; transparence : avoir le contrôle sur ses datas, sur sa vie privée… Le nouveau dentsu est dans cette logique. Nous simplifions dentsu à cette image. Nous passons en effet de 160 marques à 6 au niveau mondial. C’est un effort de simplicité et de rationalisation extrêmement fort.
CB News : Comment est-ce que cela se traduit en France ? Est-ce déjà opérationnel ?
Pierre Calmard : Ici, nous nous recentrons sur 5 marques commerciales. Avec 3 agences media que sont Carat, dentsuX et iProspect qui fusionne avec Vizeum, et conserve son nom. Nous gardons Isobar en tant qu’agence créative mais très orientée sur la technologie. Elle revendiquera un positionnement plus accentué sur le « CXM », c’est-à-dire tout ce qui est expérience consommateur, du CRM à la Martech, ces plateformes technologiques au service de la créativité. Nous conservons également l’agence de communication corporate Gyro: dont la dénomination va probablement évoluer l’an prochain, vers une sorte de dentsu creative, qui travaillera autour des nouvelles écritures et de la communication responsable. Le groupe en France se simplifie, devient très lisible. Très orienté clients et solutions et qui a la chance par rapport à ses concurrents de ne pas avoir un trop fort héritage sur la communication publicitaire traditionnelle. Tout cela a été décidé au moment de ma nomination pour être opérationnel au 1er janvier 2021. C’est le cas.
CB News : Que deviennent les autres entités du groupe en France ?
Pierre Calmard : Nous allons en externaliser un certain nombre qui deviendront dans la foulée des partenaires. Nous procédons ainsi pour trois de nos activités : dentsu consulting dont le capital a été repris par son management. Ce sera également le cas pour nos activités dans le sport et la santé (MKTG Santé). Nous sommes dans cette logique de cession aux managements en place. Enfin, sous le label dentsu trading nous regroupons Amplifi, the Story Lab et Posterscope.
CB News : Dans ce contexte, comment s’organise le management de dentsu France ?
Pierre Calmard : J’ai inventé une nouvelle gouvernance. J’ai un board avec un comité exécutif et un comité commercial qui ensemble forme un comité de direction. Je n’ai que des comités qui respectent la parité et la diversité. C’est en tout une quinzaine de personnes. Nous voulons travailler dans ce que nous appelons la « radical collaboration » … Notre maitre-mot, c’est la collaboration entre l’ensemble des individus et les entreprises.
CB News : Le groupe dentsu a également annoncé une baisse importante de ses effectifs dans le monde. La France a-t-elle été impactée ?
Pierre Calmard : Oui, comme partout. Cela a été des moments difficiles. Mais le travail est fait. Nous entamons l’année avec 800 collaborateurs en France. Nous sommes en configuration pour affronter l’avenir de façon positive avec une structure repensée, même si la situation en début 2021 n’est pas très rassurante lorsque l’on regarde la tendance des marchés. Je suis toutefois confiant.
CB News : Là aussi, avec la crise, la façon de travailler est à réinventer ?
Pierre Calmard : Nous sommes actuellement dans une organisation flex-office. Nous allons probablement déménager dans le courant du dernier trimestre 2021 avec une logique de travail plus hybride, mix de télétravail et de présentiel, avec des espaces collaboratifs. Nous cherchons cet endroit. Nous partons d’une page blanche. Nous allons pouvoir inventer.
CB News : La société a dans son ensemble aujourd’hui soif de développement durable, d’éco-responsabilité… Comment dentsu France s’inscrit dans cette tendance de fond ?
Pierre Calmard : Effectivement, lorsque l’on se revendique le champion d’une ère post-publicitaire, il faut que nous le démontrions. Nos choix médias doivent être drivés par des choix et des notions de responsabilité. Nous avons lancé un outil de mediaplanning (« Trust Planner ») qui ne se fonde pas uniquement sur une logique de coût au contact mais aussi sur la confiance. Dans les faits, nous avons réalisé des études qui nous permettent de déterminer quels sont les médias, supports, environnements et contextes qui permettent de générer auprès des consommateurs un maximum de confiance. D’être donc totalement pertinent. À l’autre bout de la chaine, lorsqu’il s’agit de mesurer les résultats, nous avons lancé une mesure de l’empreinte carbone des campagnes de communication de nos clients.
CB News : Les États généraux communication ont été organisés en novembre dernier. Un événement qui compte, dans lequel vous vous reconnaissez ?
Pierre Calmard : C’est fondamental. La publicité est le cœur de chauffe du système de la démocratie occidentale. Les médias dans leur diversité n’existeraient pas sans la publicité. Elle est le premier vecteur de la démocratie de notre pays. Et puis la Convention citoyenne demande une réduction de la publicité mais dans le même temps appelle à ce que les marques soient transparentes et qu’elles communiquent plus. Nous en sommes à ce paradoxe où le citoyen veut moins de publicité mais plus de communication. Il faut le résoudre. C’est notre enjeu.