Trend Observer 2020 : une année "contrastée" pour Thibaut Nguyen (Ipsos) 

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Nouvelle édition pour Trend Obs, l'observatoire des tendances d'Ipsos. Après plusieurs éditions annuelles et la présentation d'une "année folle" en perspective en 2020, Thibaut Nguyen, directeur du département tendances et prospective d'Ipsos et Doan Pham, directrice adjointe, Ipsos Strategy3 Futures reprennent la parole pour dévoiler conjointement, ce qui nous attend d'ici 2022 après la pandémie du Covid-19. Et donner des pistes de réflexion aux annonceurs, entreprises et institutions.

Souvenez-vous. "À l'automne 2016 nous parlions de l'escape game. Des menaces économiques, de la santé mentale, de l'essor du storytelling, mais aussi des fake news, du complotisme, ou encore de Donald Trump. Et la montée de l’extrême droite en France. Du Brexit aussi, et de la polarisation de la pensée. Et en 2018 et de l'indiversalisme. Et en 2020, avant de subir les effets du Covid, d'une année folle en perspective. Eh bien, en quelque sorte, c'est ce qui s'est produit. Cette année encore, il y a un espoir sur le secteur de la santé avec le vaccin contre ce virus. Mais cette année, c'est l'année des paradoxes et des contraires qui s'attirent. Et des expérimentations", introduit la nouvelle édition de Trends Obs, Thibaut Nguyen, directeur du département tendances et prospective d'Ipsos. Alors, à quoi devons-nous donc nous attendre d'ici 2022 ? Quels sont les changements majeurs qui se sont opérés ? Enfin, quelles sont les tendances phares qui nous inspireront demain ? 

Une année de contrastes

 "Cette année nous aurons constaté à la fois des évolutions et des régressions dans le monde. Pour le G7, un accord historique sur la taxation mondiale des géants du numérique. Une avancée majeure en matière de conquête de l’espace avec pour exemple, Jeff Bezos (Amazon) qui souhaite effectuer son premier voyage dans l’espace en juillet prochain, ou le fait que Elon Musk ait envoyé des calamars dans l'espace pour effectuer des expérimentations en vue de protéger les spationautes lors de leurs missions, mais aussi des contre-courants. Ou la Chine qui s'apprête à lancer son premier robot de minage là-haut. L'Unicef indique que 150 à 200 millions de personnes pourraient tomber dans la pauvreté cette année. Et la vaccination, aujourd'hui, concerne moins  de 1% de la population au Nigeria. En quelque sorte, le meilleur et le pire cohabitent. Et on assiste à une superposition des époques", poursuit Doan Pham, directrice adjointe, Ipsos Strategy3 Futures.

Autres faits marquants, indique encore Doan Pham " les Brésiliens  pensent que la terre est plate. Le travail des enfants est reparti à la hausse pour la première fois en 20 ans. C'est à dire 160 millions d'enfants forcés à travailler en 2020, soit 8,4 millions de plus en quatre ans. Enfin, les réalités sont de plus en plus brouillées. On assiste à une hyper-fragmentation. A l'essor de nouvelles identités, voire de doubles-identités, comme pour le cas de la Chine qui est le premier pollueur au monde et le premier producteur d'énergie verte en même temps. Ou, dans les favelas de Rio de Janeiro, du nouveau règne des narco-pentecôtistes. Et au fait qu'il y ait également un engouement des femmes pour le populisme macho incarné par les figures de Donald Trump et Jair Bolsonaro". Parmi les autres grands exemples évoqués dans la présentation, le courant de la "cancel culture".

Bienvenue au pays de la "cancel culture"

"Nous sommes dans une époque ou tout se déconstruit. Dénoncer des opinions, ostraciser leurs auteurs. Je cite le cas de Disney qui a déployé une relecture de ses films à la lumière de ce qu’est la société aujourd’hui. Notamment autour du consentement par rapport au baiser d'un prince charmant à une princesse endormie".  Ces films contiendraient des représentations négatives de certains peuples ou cultures. "À la polémique autour de l'entrée au Panthéon de Gisèle Halimi. Le constat est qu'il y a un désir fort chez les jeunes, de faire table rase du passé. Ce qui est critiquable. Un souhait de déboulonner le récit établi, donc. Mais non sans risques. Celui de la censure, puisqu'il s’agit de récrire d’Histoire et les histoires". C'est sans oublier un terrible exemple qui défraie toujours la chronique : la mémoire interdite du massacre de Tiananmen à Pékin, passible de cinq ans de prison à Hong Kong. 

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Revenir au monde d'avant, sinon décrocher

"On constate surtout un désir de changement", indique de son côté Thibaut Nguyen. " Mais la mise en œuvre est retardée en raison de la situation actuelle. Et de l'épuisement mental et physique des gens. Il y a une tentation de vouloir se( re) glisser dans les rails du monde d'avant. Mais les limites ne sont pas les mêmes pour tous les pays. En Inde et en Afrique on ne sait pas comment va évoluer la pandémie, par exemple. Il n'y a pas encore de pronostics pour la sortie de la crise. Néanmoins, nous avons des phénomènes annonciateurs de cette rupture post-crise. On a désormais des Chinois qui indiquent refuser de travailler toute la journée. Ce sont les "allongés". C'est donc vouloir se retirer d'un mouvement de compétition sociale imposé depuis la naissance. Il y a donc une remise en cause de l'idée du travail à tout prix ". 

trends-makers, ces figures du changement

L'Observatoire s'intéresse à celles et ceux qui ont enclenché une transition et qui inspirent les autres. En cherchant notamment à améliorer le/leur monde. Des personnes, ou des personnalités menant des projets engagés et servant de nombreuses causes. Doan Pham les cite : " l'environnement, le développement durable, l'éco-éducation, la sauvegarde des océans ou des plages. Mais aussi le militantisme pour les droits et l'égalité. Des projets contre le racisme, comme BLM et Stop Asian Hate, ou aidant les femmes, luttant contre les violences policières. Ou encore des artivismes qui mènent des actions en faveur de l'émancipation des populations à travers la culture. C'est le cas de l'industrie du cinéma au Nigeria par exemple. Et puis, il y a ceux qui développent de la viande synthétique pour nourrir la planète". Le tout de façon très contrastée selon la situation géographique des uns et des autres. Et selon les possibilité de développement d'outils technologiques ou sanitaires. "Il y a des pays qui sont loin d'être sortis de la pandémie", alerte la directrice adjointe, Ipsos Strategy3 Futures. "Certains sont en survie. Les Indiens et les Nigérians sont dans la désespérance alors qu'en France et au Royaume-Uni, la situation est différente. Il y a le variant indien et la peur de glisser dans une spirale. Et pour la Suède et le Vietnam, le confinement aura été perçu comme plus léger". Ces porteurs de projet, les deux interlocuteurs d'Ipsos les présentent aussi par leurs prénoms : Glory, vivant au Lagos, au Nigéria engagée dans différentes associations contre la honte des règles et le mariage des petites filles qui sont des sujets tabous encore très ancrés dans le pays, ou encore Guilherme, vivant à Brasilia et fondateur de Favela Sounds, un festival culturel international permettant de diffuser toute la culture musicale des périphéries, et promouvoir la créativité bouillonnante des favelas.

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Emmenez-moi en utopie

Autre tendance phare, la transformation individuelle depuis la mise en place du confinement, vécu pour certains individus comme une expérience terrifiante et/ ou édifiante. A commencer par le ressenti d'une "triple expérience du vide : spatial, social et temporel", expliquent Thibaut Nguyen et Doan Pham. "Un isolement, un délitement, une absence de nouveaux horizons. L'impossibilité de se projeter dans l’avenir, tous pays confondus". Cela associé à une "vulnérabilité, une incertitude pour soi et pour les autres dans un environnement violent et délétère. Avec les violences policières, l'insécurité, les pillages, ou les violences identitaires et le phénomène de bashing. Et une augmentation de l'hyper-sensibilité. Est aussi née de là, la notion de care. Le désir de rencontre". À tel point que certains et certaines se projettent désormais dans une utopie, à la façon d'un univers ou d'un décor de jeu-vidéo pour chercher une sorte de cocon protecteur, futuriste ou ancré dans la nature, tel un eldorado ou un mirage. Thibaut Nguyen parlera même d'une "utopie universaliste" avec un souhait général de "mettre en commun les ressources naturelles, culturelles et équitables". Et d'avoir une gouvernance, elle aussi équitable et bienveillante. "Pourquoi pas un monarque éclairé ou une intelligence artificielle qui régule. Je pense à l'exemple du Venus Project actuellement étudié et fondé sur l’IA. Et sur le concept d'économie basée sur les ressources (EBR). Néanmoins, si cette perspective peut paraître agréable, pas question de tomber dans l'inclusive washing ". Parmi les jeux vidéos cités qui font rêver ou font voyager vers d'autres mondes, le Wakanda ou encore le film Avatar, ou la façon de vivre en phase avec la nature, des tribus d'Amazonie restantes. Ce concept peut-même s'illustrer en chiffres avec le fait que 79% des citoyens de 28 pays, souhaitent que le monde change de manière significative et devienne plus durable et équitable, plutôt qu'il redevienne ce qu'il était avant la crise. Et Près des trois quarts d'entre eux souhaitent que leur propre vie change aussi (Ipsos pour le World Economic Forum, septembre 2020). 

inclusive washing 

"C'est surtout au Brésil qu'il y a un grand questionnement sur l'identité. On observe aussi un fort désir de la société à aller vers autrui désormais, après avoir été isolée, et de bénéficier de communautés de l’entraide. Certaines campagnes de publicité le mettent déjà en avant, notamment en Inde avec des spots qui cherchent à ôter les tabous. Et parler du rejet des personnes trans", poursuivent Thibaut Nguyen et Doan Pham. En chiffres là encore, ce pays occupe depuis 2015, entre la 5e et la 7e position du pays le plus violent au monde contre les femmes. Et toutes les 48 h, une personne travestie ou transsexuelle est assassinée. 

En conclusion s'il y a des change-makers et des trend-setters, ils et elles sont encore minoritaires. Mais pourraient toutefois dessiner des mondes idéaux pour le futur. Et aider à repenser la force du collectif. A condition de rester prudent sur les ressources et les outils mis à disposition. "Maîtriser la tech, faire attention à l’hyper-digitalisation. A l'enfermement, aux division plutôt qu'aux liens. Aux guerres d'identité et à une sur-quête identitaire", s'interroge encore le directeur du département tendances et prospective d'Ipsos. Pourquoi ? Parce qu'en regardant en arrière, au temps des années 1950 où les règles collectives étaient supérieures à l’individu, il fallait se conformer. Et qu'à partir des années 1990 à 2019, le regard de l'individu a changé pour se caractériser comme "unique", différent. Et qu'enfin, à partir des années 2020, des individualités fortes ont commencé à s'opposer, voire à s'exacerber. Défi actuel " Faire cohabiter le je et le nous. Les signaux du changement sont difficiles à lire avec ces vents contraires. Mais le changement individuel a commencé. C'est aussi la raison pour laquelle nous invitons les entreprises, les institutions et les marques à les étudier. Elles aussi gagneront à anticiper ces changements."

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