Canal+ : défiance, ambiance et concurrence

Les journalistes de la chaîne d'info i-Télé ont voté massivement (89,5%) pour une motion de défiance contre leur direction, a indiqué vendredi la Société des journalistes, après l'annonce par la direction d'importantes réductions d'effectifs et de projets de publi-reportages. A la question : "Faites-vous confiance à la direction d'i-Télé pour maintenir le cap sur la voie d'une information de qualité et indépendante", la réponse a été non à 89,5%, sur 88% de participants (171 "non" sur 191 votes exprimés et 215 inscrits), a précisé la SDJ de la filiale de Canal+. "La mobilisation reflète l'inquiétude et la colère de tous. Par ce vote, les journalistes de la rédaction ont dit clairement qu'ils continueront à délivrer, en leur âme et conscience, une information indépendante et digne et qu'attendre d'eux  de se taire et de faire ce qu'on leur dira de faire n'est pas acceptable", a déclaré la SDJ d'i-Télé, en perte de quelque 20 millions d'euros l'an dernier. Les journalistes demandent à leur direction de "s'engager clairement sur ces principes" et de "délimiter clairement les domaines de l'information et de la publicité". "Par ce vote, ils ont aussi rappelé qu'une chaîne d'informations a besoin de moyens pour délivrer une information de qualité et qu'i-Télé, avec un quart des effectifs en moins, ne sera plus en mesure d'assurer cette mission convenablement". Nommé fin mai par Vincent Bolloré pour redresser les comptes de la chaîne, le directeur de la chaîne Serge Nedjar a annoncé que les quelque 50 CDD et contrat à durée déterminée d'usage (CDDU) - un quart de la rédaction - ne seraient pas renouvelés. Lors d'une rencontre avec des représentants de la SDJ mercredi, qui a eu lieu s'est déroulée dans un climat tendu, il a aussi annoncé que la nouvelle grille comporterait moins de tranches d'info et plus de sport, mais aussi des publi-reportages, selon la SDJ. Fin mai Bruce Toussaint, le présentateur de la matinale, a décidé de quitter la chaîne d'info pour aller co-animer "C dans l'air" sur France 5. Dans un communiqué, le groupe Canal+ a toutefois "bien  noté" la motion de défiance, mais "réaffirme" son soutien à la direction de la chaîne. Il y rappelle qu'I-Télé affiche pour 2015 des pertes "proches de 25 millions d'euros" et que l'arrivée de LCI et celle de la future chaine d'information public entrainent une situation concurrentielle "très difficile". Dans une nouvelle configuration, le groupe Canal+ entend ainsi "renforcer" l'intégration d'I-Télé en son sein afin de "développer des thématiques fortes lui permettant de se démarquer de la concurrence".

Se réinventer ?

Le vote de cette motion est symptomatique de la période de crise dans laquelle le groupe Canal+ évolue depuis plusieurs mois déjà. la tempête fait en effet tanguer le groupe mis en danger sur son modèle en place depuis 30 ans : des abonnements chers pour un mélange de sport et de cinéma. Concurrencé dans la fiction par les Netflix et autres plateformes de SVOD, le piratage et les chaînes gratuites et, dans le sport, par beIN qui a raflé la plupart des droits du foot, Canal+ a perdu 500 000 abonnés en 5 ans. Même s'il en garde encore 3,9 millions.Vincent Bolloré, qui a pris le pouvoir à Canal+ à l'été, pensait avoir trouvé la solution : un accord exclusif avec beIN, dont les abonnés seraient devenus en partie les siens. Mais jeudi, l'Autorité de la Concurrence a dit non. Et invité Canal+ à proposer des offres moins chères et se réinventer. Entre-temps, le cours de Vivendi, maison mère de Canal+, a encore chuté. Ila perdu 8% cette semaine, sous les 16 euros, et lâché un tiers de sa valeur depuis l'arrivée de Bolloré à Canal+ en juillet. Autre mauvais signe, les têtes d'affiches se bousculent vers la sortie, comme Maïtena Biraben, Yann Barthès, Grégoire Margotton ou encore Ali Baddou.

Beaucoup moins de programmes en clair

Jeudi, Vincent Bolloré a pris la parole dans "Le Monde" pour avancer quelques pistes stratégiques: les émissions en clair, longtemps la vitrine glamour de Canal+, seront ramenées à une ou deux heures par jour seulement -  Thierry Ardisson et son "Salut les Terriens" va par exemple passer sur D8 - et côté tarifs, les offres seront segmentées. Selon lui, "le sort de Canal+ ne se joue pas sur un animateur". A ses yeux, ce sont les 1,5 milliard d'euros de recettes d'abonnement qui comptent, pas les 60 millions de recettes publicitaires que rapportaient le clair. Il cherche aussi son salut dans les petites chaînes en clair, D8 en tête, où Vincent Bolloré vise 8% d'audience, deux fois plus qu'actuellement. Pour marquer son territoire, Canal+ va rebaptiser D8, D17 et i-Télé en C8, CStar et CNews.  Plus question de brandir une fermeture de la chaîne, car "cette entreprise est redressable, c'est pourquoi j'y ai investi", a lancé l'homme d'affaires. Autre piste, le développement d'un concurrent de Netflix, baptisé "Watch", qui sera lancé "en fin d'année", annonce-t-il. ll vise l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et l'Amérique du sud, en accord avec des opérateurs télécoms, dont Telecom Italia, détenu à 24,7%. Son maître mot reste celui de synergies dans les contenus, entre musique (Universal), films et séries (Canal+), jeux vidéos (Gameloft qu'il vient de racheter), internet (sa filiale Dailymotion), concerts (L'Olympia), émissions de flux (D8).

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