Laurence Deléchapt (Médiamétrie) : « La mesure hybride en TV pourra répondre aux enjeux clés de la TV segmentée »

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Au cœur des enjeux de la pub TV segmentée en tant que tiers de confiance, Médiamétrie y organise sa présence, ses analyses et ses process pour plus de transparence. Sa directrice du département TV, Laurence Deléchapt, explique à CB News son modus operandi en la matière et se projette dans l’avenir… Interview.  

CB News : Depuis l’été 2020, la publicité TV segmentée est autorisée, après plusieurs années de demandes de plus en plus pressantes de la part des chaînes, qu’elles soient publiques ou privées. En quoi ce mode de diffusion de la publicité est une (r)évolution ?

Laurence Deléchapt : Depuis le décret publié au Journal Officiel le 6 août dernier qui assouplit les règles de la publicité télévisée à partir de 2021, les chaînes de télévision ont pour la première fois la possibilité, au sein d’un écran publicitaire linéaire, d’adresser un spot particulier à une sélection de foyers ou d’individus en fonction de critères de ciblage spécifiques (sociodémographiques, comportementaux ou localisation par exemple). Elle offre aux régies publicitaires la possibilité de proposer aux annonceurs des ciblages similaires à ceux du digital dans l’environnement publicitaire de la télévision linéaire. C’est donc l’occasion d’allier le meilleur des deux mondes, le ciblage fin du digital et la puissance de la télévision. Par ailleurs, c’est une opportunité pour de plus petits annonceurs et/ou annonceurs locaux d’accéder au média TV.

Derrière ce projet, il y a bien sûr des enjeux forts à la fois sur le plan technique mais également sur le plan commercial.

CB News : Médiamétrie semble au centre des enjeux, en tant que véritable tiers de confiance ? Entre les chaînes prêtes à délivrer les campagnes et les annonceurs en attente de résultats concrets, quel est son rôle dans cette nouvelle donne ? 

Laurence Deléchapt : Un marché publicitaire a besoin d’un tiers de confiance et d’une mesure neutre et indépendante qui permette de faire fonctionner l’écosystème. En l’occurrence, c’est le rôle que Médiamétrie exerce pour la télévision, la radio et le digital. Le marché publicitaire qui est de plus en plus complexe a besoin de transparence pour se développer. Il y a plusieurs sujets et attentes du marché par rapport à la publicité télé segmentée.

Le premier sujet est directement lié à la mesure d’audience. En effet, le principe même d’adressage de la publicité à la télévision a nécessairement un impact sur la publicité linéaire. Puisque par définition, pour un spot donné, une partie de l’audience n’est pas délivrée au public de façon nationale, mais de façon ciblée. Le premier enjeu est donc de mesurer cet impact pour les annonceurs concernés par un décrochage.

CB News : Après un travail de plusieurs mois, Médiamétrie vient d’annoncer qu’elle continuera à assurer des bilans de campagne transparents aux annonceurs. Comment est-ce que cela se traduit concrètement ?

Laurence Deléchapt : Une première étape de la mesure vient en effet d’être mise en place. Cette étape est le fruit d’une collaboration avec le SNPTV, Kantar et les éditeurs de solutions logiciels du marché publicitaire. Il y avait 2 enjeux majeurs pour cette première étape. D’abord préserver les audiences moyennes des écrans publicitaires pour tous les annonceurs nationaux qui ne sont pas impactés par la diffusion d’un spot adressé. Puisqu’en France, par convention, l’audience d’un spot correspond à l’audience moyenne de l’écran publicitaire dans lequel il est diffusé.

Ensuite, évaluer l’impact de la publicité segmentée sur les audiences des spots de publicité linéaires concernés. Pour ce faire, nous avons travaillé de concert avec tous les acteurs que je viens de citer pour établir un mode de correction des audiences des campagnes publicitaires nationales lorsque les spots ont été remplacés par des spots segmentés. Les GRPs ainsi corrigés permettent d’assurer des bilans transparents des campagnes TV nationales en représentant la réalité de la pige publicitaire et les audiences associées à la diffusion de chacun des spots.

CB News : Comment est-ce que cela fonctionne ?

Laurence Deléchapt : Pour les annonceurs impactés par les décrochages publicitaires, Médiamétrie calcule une audience des spots publicitaires corrigée grâce à une modélisation basée sur les impressions servies, transmises par les régies publicitaires. Cette modélisation consiste à passer d’une information de volume d’impressions au niveau foyer à une audience individuelle prenant en compte l’audience conjointe, puis à calculer l’impact du spot décroché sur l’audience consolidée de l’écran en base 4 ans et plus. Le GRP corrigé sur cible est ensuite obtenu par profilage des audiences. Cette audience corrigée est ensuite intégrée dans les outils de médiaplanning et de pige.

CB News : Certaines régies membres du SNPTV, ou pas, ont signé des accords avec différents opérateurs. Serez-vous en mesure de fournir des données globales alors que les technologies sont différentes entre chacun ? Se répondent-elles, d’ailleurs ? Ou fournirez-vous des données par opérateur ?

Laurence Deléchapt : Dans cette première phase, nous travaillons à partir des données d’impressions issues des adservers des régies, sur la base d’un cahier des charges commun à l’ensemble des régies, coconstruit avec le SNPTV, garantissant une homogénéité de traitement quel que soit l’opérateur par lequel la publicité est opérée.

CB News : La technologie est en perpétuelle évolution. Quelles sont les prochaines étapes pour Médiamétrie en matière de publicité TV segmentée ?

Laurence Deléchapt : Dans une seconde phase, nous prévoyons de travailler avec les opérateurs pour proposer des solutions de mesure qui allieront la finesse de la connaissance de nos panels et la richesse d’information des données opérateurs. C’est ce que nous appelons les mesures hybrides, mariage entre panels et data pour tirer le meilleur des deux mondes. Nous avons une expertise solide et reconnue en matière d’hybridation des mesures et utilisons d’ailleurs ce savoir-faire depuis de nombreuses années dans les mesures internet notamment. Les mesures hybrides nous permettent d’opérer des mesures sur de larges échantillons. La mesure hybride en télévision pourra répondre à deux enjeux clés de la TV segmentée : l’individualisation du contact et la connexion avec l’ensemble de l’écosystème publicitaire.

En effet, le recueil des données des box des opérateurs, hybridées avec les données du panel de Médiamétrie, permettra notamment de passer d’une information de consommation box/foyer à une notion d’audience individualisée et profilée (qui est devant l’écran de TV à un instant T) grâce à la mise en œuvre de modèles statistiques par nos data scientists. La donnée qui est produite dans le cadre de la télévision segmentée par les opérateurs ou même les adservers est une donnée d’un niveau foyer. Or lorsque qu’une box est allumée, il peut y avoir plusieurs personnes devant le téléviseur. La pertinence du ciblage dépend de la pertinence du ciblage foyer mais aussi de la pertinence du ciblage individuel à un instant donné.

CB News : Qu’est-ce que cela permettra, concrètement ?

Laurence Deléchapt : En premier lieu, d’affiner le ciblage pour le calcul des GRPs corrigés mais aussi de proposer des bilans de campagnes TV segmentée sur des cibles calculées à un niveau individuel et sur une définition du contact cohérente avec celle utilisée aujourd’hui pour la télévision « classique ». Au-delà de cette deuxième étape, il va y avoir un enjeu de globalisation des performances d’une campagne pour un annonceur.

Avec d’une part un enjeu de connexion, non seulement entre modes de diffusion des campagnes segmentées, mais aussi avec l’ensemble des autres canaux publicitaires TV. Les annonceurs auront besoin d’avoir une vue consolidée des performances de leurs campagnes, qu’elles aient été diffusées de manière nationale en live, segmentée, ou en replay. Cette consolidation devra ensuite s’étendre à l’ensemble de l’univers vidéo, ce qui induit le sujet de la réconciliation des univers TV et vidéo sur la base d’indicateurs comparables et homogènes. Enfin, nous pourrons mesurer l’efficacité sur les ventes, que Médiamétrie pourra opérer, notamment en liant la mesure d’audience avec les données de sa filiale MarketingScan.

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