Stéphane Albouy (Le Parisien) : « Le projet que nous présentons est un projet de conquête »

Stéphane Albouy

Stéphane Albouy, directeur des rédactions Le Parisien/Aujourd'hui en France

(© Bruno Levy)

Mardi matin, lors d’un comité social et économique extraordinaire, la direction du Parisien a présenté son projet de transformation. L’objectif : accélérer la transition digitale du journal et reconquérir son leadership. Le journal vise 200 000 abonnés numériques d’ici 5 ans. Stéphane Albouy, directeur des rédactions, se livre en exclusivité dans nos pages.

DANS QUELLE MESURE LA PÉRIODE QUE NOUS TRAVERSONS EST UNE ÉPREUVE POUR LE PARISIEN ?

Cette épreuve n’est rien de moins que celle que traverse notre profession, les journalistes comme toute l’industrie des médias. Au Parisien, nous la ressentons d’autant plus qu’il reste un grand journal du papier, donc plus exposé que la plupart de ses confrères à la baisse de ces ventes.

LE PARISIEN DOIT FAIRE DES ÉCONOMIES : DE QUEL ORDRE ?

Aux côtés de Sophie Gourmelen, directrice générale de notre journal, ma responsabilité est de veiller à ce que les dépenses de la rédaction soient faites au bon endroit. C’est ce que nous avons fait ces dernières années, notamment en ayant investi massivement dans la technologie pour accélérer la transition digitale du Parisien. Comme tous nos confrères, la crise du Covid-19 a entraîné une baisse de notre chiffre d’affaires. Le poste le plus touché concerne la vente au numéro avec la fermeture de nombreux points de vente et les difficultés de Presstalis. Même si les résultats sont moins sombres que nos premières prévisions, la publicité a également souffert. Au Parisien, nous avons su réagir très vite : adaptation des produits, ajustement de la pagination…

VOUS DITES QUE « LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DU PARISIEN N’EST PLUS TENABLE » : QUE FAIRE ?

Pour le dire simplement, nous devons accélérer la transformation numérique du journal et poursuivre l’adaptation de nos contenus aux nouveaux modes de consommation de l’information. C’est une nécessité absolue car Le Parisien est particulièrement exposé à la baisse des ventes du papier. Le Parisien avec Aujourd’hui en France reste le quotidien français le plus vendu en kiosques. Alors que nos audiences numériques n’ont jamais été aussi élevées, le papier représente encore 90 % de nos recettes. Les revenus du papier baissent de plus en plus vite, ceux du numérique progressent mais pas assez vite. Depuis trois ans, de nombreux investissements ont été réalisés avec un nouveau socle technologique. Nous avons fait l’acquisition d’une nouvelle plateforme, Arc Publishing, un CMS très performant, développé par les équipes du Washington Post. Cela correspondait à une première étape de notre stratégie numérique, un prérequis indispensable pour porter nos innovations éditoriales. La seconde étape s’apparentait à de premières évolutions en matière de contenus. Les résultats sont plus qu’encourageants : nous avons doublé notre portefeuille d’abonnés numériques en quelques mois ! Nous pouvons, nous devons aller plus vite dans notre transformation numérique. C’est toute l’ambition du projet que nous avons présenté, hier, aux élus et aux collaborateurs. Nous lui avons donné un nom pour exprimer notre ambition : #LeParisien200000, comme les 200 000 abonnés numériques que nous visons à un horizon de 5 ans. Nous sommes convaincus qu’il s’agit là d’un objectif tout à fait réalisable, dans la droite ligne des progrès réalisés ces derniers mois.

VOULEZ-VOUS SUIVRE LE MODÈLE DU MONDE, QUI VISE 1 million D’ABONNÉS, PRINCIPALEMENT SUR LE NUMÉRIQUE, EN 2025 ?

C’est tout simplement le modèle vers lequel tend la presse de qualité. Partout dans le monde. Tous les grands médias basculent dans l’économie de l’abonnement numérique. Je ne vois aucune raison à ce que Le Parisien, le grand journal populaire de qualité de ce pays, puissant et respecté, reste à l’écart de ce mouvement. Il va de soi que les nouveaux usages nous commandent cette transformation de notre modèle. Mais, à mes yeux, c’est bien plus qu’une contrainte, nous le vivons comme une formidable opportunité de projeter Le Parisien résolument dans l’avenir.

QUELLES SONT LES PRINCIPALES ÉVOLUTIONS À VENIR ?

Le nouveau projet éditorial du Parisien se base, pour l’essentiel sur des expériences réussies et des modifications faites il y a quelques mois. Tout d’abord dans le traitement de l’information locale. Il y a 18 mois, nous avons créé – ce qui est unique dans la presse locale — une cellule d’enquêtes dédiée à l’Ile-de-France. Constituée de 5 journalistes, elle travaille sur tous les domaines, sociétaux, environnementaux, politiques, et aussi les phénomènes de délinquance. Tout au long de l’année, les journalistes de nos éditions départementales ont produit de nombreux contenus premium qui se sont avérés des générateurs d’audiences et d’abonnements. Une première expérience riche en résultats ! De plus, nous avons exploré de nouvelles thématiques grâce, par exemple, à la création d’une cellule Immobilier, rejointe par 3 journalistes de nos éditions locales. Nous traitons de l’évolution du marché en Ile-de-France avec des contenus spécifiques et assez pointus. Là encore, nous enregistrons des succès d’audience et d’abonnements. Sur la base de ces premiers résultats, nous allons créer de nouvelles cellules :

Une cellule « Police/Justice », composée essentiellement de journalistes provenant des éditions locales, nombreux sont spécialistes de ces questions. L’objectif est d’amplifier cette thématique en proposant plus d’informations exclusives avec des longs formats documentés.

Une cellule « Portraits ». Ce mode de narration, remis au goût du jour dans notre édition du dimanche et dans notre magazine Le Parisien Week-End, permet de mettre en lumière des personnalités connues ou émergentes en Ile-de-France.

Une cellule « Récits », composé de 6 reporters, pour couvrir les grands moments d’actualité en France. Avec l’appui des différents services du journal, ils raconteront les phénomènes et les grands changements de la société : des formats longs sous la forme d’enquêtes et de reportages.

Une nouvelle rubrique « C’est leur avis », sur le numérique et dans le print. Un carnet de contributeurs réguliers sera constitué de personnalités reconnues et aussi de voix qui émergent de tous les horizons de la société française (politique, économie, social, banlieue, culture, santé…). De nombreuses plumes incarnant la parité et la diversité en feront partie. La particularité et la grande force du Parisien sont d’être transpartisan, sans couleur politique. Toutes les opinions s’exprimeront.

Par ailleurs, Le Parisien explorera aussi de nouveaux territoires éditoriaux avec le lancement de cinq nouveaux domaines très variés : le féminisme, la science, la tech, le bien manger et l’intime.

LES SALARIÉS DU PARISIEN ONT-ILS RAISON DE S’INQUIÉTER DU PROJET DE TRANSFORMATION DU JOURNAL ?

Le projet que nous présentons est un projet de conquête, de redéploiement, de transformation. Un projet très ambitieux sur le plan éditorial. De nos jours, quel journal annonce simultanément la création de nouveaux services comme ceux dédiés aux reportages, aux portraits, aux enquêtes judiciaires ? Tout ce qui est le cœur du journal a été réaffirmé dans ce projet éditorial. Quand on doit changer, se transformer, je comprends aisément ce que cela puisse engendrer une inquiétude. C’est humain. Mais dans le cas présent, nous parlons de journalisme, d’investissement dans ce qui est le cœur de notre métier. L’application de notre projet n’a rien de comparable avec ce que nous entendons sur le marché.

Oui, nous devons réduire nos charges pour faire face à la baisse des ventes du journal papier. Nous devrons faire près de 10 M€ d’économies. Mais, pour être très clair, il n’y aura ni plan social, ni licenciements secs au Parisien. Pour l’essentiel, notre projet se fonde sur un redéploiement d’une partie de nos équipes. Il est envisagé le départ de 30 personnes sur 435 cartes de presse. Un dispositif d’accompagnement personnalisé sera mis en place : retraite anticipée ou reconversion professionnelle. Nous devons en discuter avec les partenaires sociaux.

LES RÉDACTIONS DU PARISIEN ONT-ELLES À SOUFFRIR DE CE PLAN ?

Ce dont elles auraient pu souffrir, c’est de l’absence d’un projet ambitieux pour protéger l’avenir du Parisien et de ses équipes. Le projet, nous l’avons ! Les moyens et les talents pour le mettre en œuvre aussi. Grâce à cela, nous ouvrons la possibilité d’évolutions professionnelles, d’accéder à de nouvelles fonctions dans des registres aussi variés que les longs formats, le reportage, les enquêtes. Comme directeur d’une rédaction, c’est une grande satisfaction et une fierté de pouvoir présenter un projet de cette envergure, surtout dans la période que nous vivons.

LA TRANSFORMATION DOIT-ÊTRE « PLUS PROFONDE ET RAPIDE » : QUE CELA SIGNIFIE-T-IL ?

Les avancées que nous enregistrons sur le numérique (plus de 20 millions de lecteurs, doublement des abonnements) ne sont pas suffisantes pour compenser la baisse du papier. Les premières étapes franchies étaient essentielles. Elles resteront comme les fondations de ce que nous serons. Il nous appartient désormais d’accélérer la construction du journal de demain. Il s’agit pour nous de transposer son leadership du papier au numérique. De partir à la reconquête de nos acheteurs, d’attirer de nouveaux lecteurs, plus jeunes, plus féminins. Et je n’oublie pas ce que nous ont dit nos lecteurs après le confinement. La moitié va changer sa façon de s’informer au profit du numérique. C’est pourquoi notre transformation doit être plus profonde et rapide.

COMMENT CONJUGUER LES DIMENSIONS LOCALE ET NATIONALE AVEC MOINS DE MOYENS?

Le Parisien comptera toujours en son sein une rédaction de 400 journalistes dont le quart dans nos agences départementales. Bon nombre de mes confrères aimeraient bénéficier d’une telle force de frappe. En revanche, il nous faut repenser la structure de notre rédaction pour produire des contenus de plus grande valeur sur le numérique, abandonner les formats et les sujets qui ne suscitent ni audience ni engagement, et donc pas d’abonnement. Nous devons donc publier moins d’articles mais à plus fort potentiel d’audience et d’engagement. C’est bien la vocation du Parisien d’intéresser le plus grand nombre.

C’est pourquoi nous avons décidé de repenser notre offre d’information locale, sur le numérique et dans un cahier unifié (« Le Grand Parisien »). Il va de soi que nous continuons de couvrir tous les départements franciliens et l’Oise. Ce cahier unique nous permet de rassembler le meilleur de la production de la plus grande région de France, de couvrir des sujets de vie quotidienne qui sont autant d’enjeux à portée nationale. Nous conserverons une agence locale dans chaque département, composée d’au moins 7 à 8 journalistes par bureau. Chaque département disposera de sa propre « Une » avec un sujet fort. Par ailleurs, à l’instar du cahier national, nous mettrons en place un deuxième « Fait du jour » dans le cahier local, avec des interviews exclusives, des révélations. Il est aujourd’hui question d’un redéploiement des effectifs sur des thématiques que l’on pense plus pertinentes en local comme en national. Par exemple, au lieu d’organiser, comme c’est le cas aujourd’hui, deux conférences de rédactions différentes entre le national et le local, nous n’en ferons plus qu’une. Cela permettra d’échanger avec l’ensemble des journalistes et des services sur la façon dont tous les sujets seront intégrés dans l’offre éditoriale globale du média Le Parisien.

QUE PRÉVOIT LE PARISIEN POUR COUVRIR LES ÉLECTIONS MUNICIPALES ?

Notre couverture éditoriale est forte pour suivre la campagne du deuxième tour. Depuis un an, un focus est fait sur une quarantaine de villes d’Ile-de-France, sur les thèmes au cœur des préoccupations de la population : fiscalité, circulation, environnement, etc. Aujourd’hui, nous poursuivons ce travail sur la vingtaine de villes dont le maire n’a pas encore été élu. Évidemment, notre regard s’attarde sur Paris et ses trois principales candidates du second tour. Le Parisien sera d’ailleurs co-animateur d’un grand débat sur BFM TV. Le lendemain des élections, Le Parisien donnera l’intégralité des résultats dans chaque commune d’Ile-de-France et de l’Oise.

SELON VOUS, L’AVENIR S’ANNONCE-T-IL RADIEUX POUR LA PRESSE ?

Je peux au moins me prononcer pour Le Parisien et vous répondre avec un grand oui. Pas un oui de circonstance, un oui de conviction. Avec le numérique, Le Parisien touche toujours un large public, mais plus jeune. Songez que le tiers de nos lecteurs sur mobile ont moins de 35 ans. Je n’imagine pas non plus notre pays, la vitalité de notre débat démocratique sans un grand journal populaire de qualité. Nous aurons toujours besoin d’un journal en connexion avec les aspirations des Français, qui s’est toujours évertué à détecter les signaux faibles de ce qui fera la une de l’actualité. Ce grand journal sera toujours Le Parisien !

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