Acquisition client versus rétention : la fin d’une hérésie économique ?

detours

Aujourd’hui, dans une direction marketing, 80% des ressources financières et humaines sont consacrées à un objectif unique : l’acquisition de nouveaux clients. Le reste, c’est-à-dire très peu, à ce qui devrait en être le prolongement naturel : leur rétention. Ce déséquilibre est, n’ayons pas peur des mots, une hérésie économique.

D’abord parce que travailler sur ses clients existants coûte en moyenne 5 fois moins cher [1] que l’acquisition. Ensuite, parce qu’un client fidèle ou engagé dépense en moyenne 2,5 fois plus qu’un prospect. Or, n’oublions pas que les prospects n’ont que 5 à 20% de probabilité de réaliser un achat versus 60 à 70% pour un client déjà existant [2].

Si on prend l’angle de l’efficacité publicitaire, l’équation n’est pas non plus évidente lorsqu’on sait que sur 1€ investi seulement 6 centimes [3] financent ce que la publicité digitale nous a toujours promis : la bonne publicité à la bonne personne au bon moment. D’après le Dr. Augustine Fou [3], le reste du budget se répartit entre l’agence media, la solution de publication, les problématiques de visibilité, la fraude, etc.

Enfin la priorité totale accordée à l’acquisition est une hérésie économique car rien, ou très peu, est fait pour nouer une relation dans la durée avec les nouveaux clients « acquis ». L’acquisition client telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui est amnésique. Elle recommence sans cesse ce qu’elle a déjà fait en rachetant du media pour contacter des prospects qu’elle a déjà touchés ou qu’elle a même, la plupart du temps, déjà comme client.

Une mine d’or mal exploitée

Ce défi au bon sens appelle à rééquilibrer rapidement les budgets marketing des marques pour qu’elles puissent acquérir mieux. Concrètement, cela veut dire entrer en contact avec un prospect bien sûr, mais ensuite créer et conserver une relation dans le temps avec lui.

Le déséquilibre qui perdure entre ces deux volets du marketing réduit considérablement l’efficacité et la profitabilité des entreprises. Depuis 20 ans, on nous rabâche les oreilles avec le fameux big data, mais force est de constater que les marques ont surtout travaillé à rendre la data « big » plutôt que « smart ».

Et c’est dommage, car après des années d’acquisition forcenée, beaucoup d’entreprises sont assises sur des mines d’or. Mais des mines mal exploitées, voire carrément inexploitées. Elles ont des bases de données où, en moyenne, plus de 50% des contacts sont inactifs ou non qualifiés. Et pour les 50% restant, on constate une surpression de l’email avec très peu de segmentations, des budgets faramineux sur des apps peu téléchargées ou des sms pas toujours efficaces, souvent intrusifs et toujours chers.

Des directions CRM sous-dotées

Ce n’est pourtant pas la faute des directions CRM qui plaident toutes pour plus de moyens et de considérations mais qui restent sous-équipées, sous financées, sous-outillées et sous-accompagnées. Pour être précis, beaucoup ont tout de même bénéficié d’une adaptation de leurs outils ces dernières années mais rares sont celles qui transforment l’essai en investissant aussi sur l’accompagnement et les ressources humaines.

Huit ans de démarches commerciales dans ce milieu attestent de cette dynamique. Il faut batailler durement pour signer une enveloppe de 30.000 euros annuel avec 2 personnes, c’est-à-dire toute l’équipe CRM d’un groupe du CAC 40 qui doit gérer des millions de contacts en base et une multitude d’outils sous-exploités. Au même moment, dans la pièce d’à côté, l’équipe acquisition, 4 fois plus grosse, signe un bon de commande de 300.000 euros pour un seul semestre à Facebook ou Google. Sans broncher.

La fin d’un cycle ?

Les directions générales marquent une défiance de plus en plus grande vis-à-vis des directions marketing. Ce qui ne manque pas de sel car depuis des années ce sont ces mêmes directions générales qui ont mis une pression constante sur leur département marketing pour conquérir de nouveaux clients. Mais le fait est qu’aujourd’hui ces dépenses toujours plus importantes sont de moins en moins comprises. Et c’est logique dans la mesure où leur profitabilité s’érode inexorablement.

Les choses évoluent (trop) lentement. Inertie d’un marché structuré autour de ces mécaniques d’acquisition, peur d’être le premier à sortir de ce système irrationnel ou simplement de rater quelque chose… le constat d’échec n’est pas suivi d’actions réparatrices. Mais nous sommes peut-être à l’aube d’un nouveau cycle grâce à deux phénomènes majeurs. Le premier a trait aux initiatives visant à préserver la vie privée des internautes avec la fin des cookies tiers. Elles obligent l’industrie publicitaire à envisager différemment son métier et les marques à se concentrer sur leur data first party. Le second émerge dans le sillage du COVID. Beaucoup de marques ont vu leur trafic naturellement redirigé sur leur site et ont ainsi acquis de nombreux clients. Comment les garder ? Comment les faire revenir ? On observe que la question de la rétention, de la relation client et de la fidélisation refait surface.

Ce nouveau contexte sera-t-il suffisant pour faire prendre conscience de la problématique aux dirigeants et, rêvons un peu, les faire passer à l’action ? Pour beaucoup de marques c’est une question de survie. Une grande partie de leur croissance et de leur profitabilité réside dans leur capacité à retenir les clients chèrement conquis et non dans le puit sans fond d’une acquisition digitale opaque et sans lendemain.

[1] Dawkins & Reichheld

[2] Altfeld

[3] Forbes 2020 - The cost performance paradox of modern digital marketing

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

À lire aussi

Filtrer par