L’addiction aux réseaux sociaux

disko

Vous entendez ce doux son ? Celui qui a retenti dans votre poche et qui vous a amené naïvement sur cet article. Vous vouliez seulement regarder la météo et vous voilà désormais sur votre fil d’actualité à regarder un article sur le top 10 des pulls à porter en hiver. Ne soyez pas trop dur avec vous-même, vous n’y êtes pour rien.

« Il y a seulement deux industries qui nomment leurs clients ‘utilisateurs’ : les drogues illégales et les logiciels » (Edward Tufte). Effectivement, derrière le smartphone qui vous accompagne quotidiennement, tout un système est mis en place afin de le rendre indispensable. Le cerveau humain est enclin à toutes formes d’addictions, et de ce fait notre premier réflexe au réveil est désormais de regarder nos notifications. Nous allons ainsi tenter de déterminer les mécanismes établis par les grands géants des applications et leurs influences sur le biais cognitif.

Tout débute avec la Gen Z

La génération née après les années 1996, qui est tombée dans la marmite étant petite. Difficile de voir aujourd’hui un « jeune » sans son téléphone à proximité. Cet outil remplace désormais la majorité des interactions sociales, des divertissements et même des instruments de travail : tout devient à portée de main. Seulement cet « asservissement » quotidien n’est pas dû au hasard.

Selon Tristan Harris, ex-éthicien au design Google et cofondateur du Center For Humane technology, presque 2 millions de personnes ont des pensées qu’ils ne sont pas censés avoir à cause d’algorithmes qui font tout pour nous rendre dépendants. Par un recueillement de datas, les sites et diverses applications deviennent capables de prédire nos émotions, nos centres d’intérêt, voire même nos fragilités, afin de les exploiter. Mais comment cela fonctionne-t-il ? Pour résumer de manière vulgaire le fonctionnement d’un modèle de base nous pouvons établir le schéma suivant : « Engagement, Croissance et Publicité ».  En premier temps, l’entreprise appelle à l’engagement, donc nous incite à rester le plus longtemps possible sur sa plateforme. Ensuite, Ia croissance cherche à nous faire revenir sur l’application nous encourage à en parler à notre entourage, notamment par l’envoi de notifications. Enfin, le dernier objectif, la publicité, est un moyen de générer du profit lors de l’utilisation d’un service.

Tristan Harris appelle cela le « capitalisme de la surveillance », le consommateur est à la fois le client et le bien : « Si vous ne payez pas pour un produit c’est que vous êtes le produit ».

Tout ce système repose sur l’idée de nous tenir en haleine devant nos écrans. Prenons simplement la couleur rouge des notifications. Cette couleur a pour finalité de nous rappeler inconsciemment le sentiment d’urgence, afin que nous nous précipitions instinctivement sur notre téléphone. 5 secondes, c’est le temps d’intervalle qui sépare l’idée de consulter son smartphone du nombre de notifications. Ces petits bruits d’alerte en couleur, présupposent directement chez l’individu une idée de récompense avec de la dopamine à la clé. Le principe est simple : faire désirer quelque chose à l’utilisateur avant qu’il en ait lui-même conscience, c’est ce qu’on appelle « l’anticipation de la demande ». Lutter contre ces algorithmes est peine perdue puisque les modèles se basent sur des milliers d’utilisateurs présentant le même profil psychologique, anthropologique ou géographique.

Fear of Missing Something Important

Des tonnes d’alternatives sont mises en place pour nous faire rester sur nos écrans et plus un service est capable de nous proposer des choix, plus il est difficile de détourner son attention (même les points d’abréviation qui apparaissent lorsque quelqu’un veut laisser un commentaire sont réfléchis pour nous faire rester sur la page). Nous nous rendons en conséquence sur un réseau social avec un but premier, puis on s’y perd sur un fil d’actualité scrupuleusement choisi pour nous. Tristan Harris explique cela par le F.O.M.S.I : « Fear of Missing Something Important ». C’est le système de récompense aléatoire qui exploite notre somnolence. Sur une application de rencontre par exemple, le cerveau se sent récompensé lorsqu’il découvre un profil ou un message qu’il déclare satisfaisant ; cependant ce sentiment d’accomplissement et de victoire n’est que passager, et une fois ce profil trouvé, le cerveau est prêt à réitérer l’expérience pour pouvoir ressentir cela à nouveau, l’échec rend la récompense plus désirable.

Ce qui peut paraître d’autant plus alarmant, c’est que les algorithmes mis en place apprennent et évoluent seuls.

Cette évolution très rapide rend la machine presque autonome et plus intelligente que l’homme, on définit cela par le « machine learning ». Seulement, a contrario le cerveau humain n’évolue pas, ainsi notre biais cognitif n’est pas adapté à toutes ces formes de technologies et tend à être beaucoup plus facilement influençable.

La captologie comme moyen de persuasion et d’influence

Cela nous renvoie alors à la notion de captologie, apparue dans les années 1990 aux États-Unis. La captologie se définit par le fait d’utiliser un outil comme moyen de persuasion et d’influence. B.J Fogg en est considéré comme le père fondateur et est un des premiers à avoir compris le potentiel de manipulation des ordinateurs. Son travail consiste principalement à rendre les logiciels plus « aimables » donc plus influents. En effet, avec l’aide de tests antérieurs, les pionniers de la captologie se sont rendus compte que l’être humain tend à écouter davantage un logiciel qui lui ressemble, donc plus humanisant. Cette intelligence artificielle a donc comme objectif de nous aliéner de nos propres choix et convictions. Mais cela n’a pas forcément qu’un impact négatif et peut être notamment utilisé pour influencer des causes écologiques, sociologiques ou politiques. A contrario utilisé à mauvais escient, dans un régime dictatorial entre autres, les conséquences peuvent être bien plus désastreuses. Pour illustrer ce propos prenons comme exemple la Birmanie, qui à travers la plateforme Facebook a réussi à censurer les discours antiracistes et à instrumentaliser la haine vis-à-vis des Rwandais. Ainsi les réseaux sociaux peuvent même devenir une arme géopolitique dont il est difficile de se soustraire.

« Un système à la Black Mirror »

En effet, les solutions paraissent simples pour faire une cure de ces réseaux sociaux, pourtant tout est fait pour nous compliquer la tâche lorsque l’on veut se désinscrire d’une application-type. Une page nous amène sur un lien, qui nous amène sur une autre page qui nous amène sur un autre site etc. Ainsi, peu à peu nous nous inscrivons dans un système à la Black Mirror où les réseaux sociaux font partie intégrante de notre quotidien, et où il est presque impossible de faire abstraction. Cette idée se creuse d’autant plus par la validation sociale que cela implique. En effet, de plus en plus d’applications préconisent un système de notation, comme uber par exemple, ce qui nous oblige inconsciemment à modifier nos caractères sociaux pour avoir une meilleure note : like for like. Les réseaux sociaux réinventent notre façon de percevoir l’amitié, glorifient les mises en scène d’une vie parfaite et d’une plastique parfaite. D’après Jonathan Haidt, psychologue social américain, une forte augmentation d’anxiété et de dépression a été constatée chez les jeunes adolescents américains entre 2011 et 2013. Cela est notamment dû à l’arrivée des smartphones avec applications. Depuis le début de cette même période, sur 1 million de jeunes filles, les suicides chez les adolescentes ont augmenté de 70%, par rapport à la décennie précédente, et ont augmenté de 151% chez les pré-adolescentes. Cyberharcèlement, idéal de beauté non normalisé, validation sociale institutionnalisée, tous ces phénomènes accentuent la distorsion réalité- virtuelle, mais ce n’est pas tout.

Les réseaux sociaux fragmentent nos communautés avec des fils d’actualités adaptés à nos centres d’intérêt

L’ouvrage de Daniel Kahneman « Thinking fast and slow » fait notamment référence au « halo effect ». Selon lui, en matière de réseaux sociaux, tout est une affaire de contexte, plus une personne est respectée ou admirée, plus elle peut tenir des propos “extrêmes”, au contraire d’une personne qui possède moins d’abonnées ou qui a subi le phénomène de la cancel culture*. La notoriété d’un influenceur peut endiguer des propos conspirationnistes aux sources hasardeuses, comme nous avons pu le voir par exemple avec le « #pizzagate »**. Ces plateformes deviennent ainsi des niches pour les fake news et selon l’américain Jaron Lanier, un des pionniers de la réalité virtuelle cela « a réduit notre intelligence et notre libre arbitre ».

Aujourd’hui, des solutions alternatives existent

Il existe cependant des alternatives pour amoindrir notre addiction. ProtonMail à la place de gmail, qui est un service suisse sécurisé et qui assure un chiffrement des emails, Mastodon pour quitter Twitter, Qwant, un moteur de recherche français qui garantit la protection de la vie privée et bien d’autres encore. Cependant nous n’avons pas comme premier réflexe d’utiliser ces moyens de substitutions. Mozilla Firefox par exemple, s’engage depuis 2005 à produire un Internet qui ne capture pas nos données personnelles et qui ne détourne pas notre attention ; une sorte d’Internet inclusif et éthique. Pourtant, même 10 ans après son lancement, en mars 2019 Chrome enregistrait 67,88%*** de visites dans le monde face à Firefox qui récoltait seulement 9,27%. Cela revient donc principalement à un choix personnel. Il est même désormais possible de programmer son temps d’utilisation de certaines applications sur son téléphone et de les verrouiller lorsque le ratio temps est atteint. Enfin, il ne faut pas négliger le confinement qui nous a poussés à nous retrancher davantage sur ces diverses plateformes. Dans un contexte où il est presque impossible de sortir de chez soi, les réseaux sont devenus la nouvelle norme de socialisation, et sans eux il aurait été compliqué de maintenir un état psychologique stable. Il est donc de notre devoir de savoir l’utiliser à bon escient, tout en intégrant que ce n’est pas une réalité absolue vis-à-vis de la pluralité des individus et des idéologies. Donc non au boycott des réseaux, mais oui à une utilisation plus intelligente.

* Cancel culture : phénomène qui incite à supprimer ou boycotter une personne, un groupe d’individus ou une enseigne à travers les réseaux sociaux.

** #pizzagate : apparu dans les années 2016, il fait référence à une théorie selon laquelle Hillary Clinton serait à la tête d’un réseau pédophile où le QG serait dissimulé dans la cave d’une pizzeria à Washington.

*** donnée de Statcounter MarketShare

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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