Jean-Philippe Baille (Radio France) : “être punk aujourd’hui, c’est revenir aux fondamentaux”

Jean-Philippe Baille

Jean-Philippe Baille

(© Radio France / Christophe Abramowitz )

La fin du mois d’octobre est marquée par une semaine mondiale de l’éducation aux médias et à l'information (EMI) qui se tiendra en Jordanie du 23 au 25 octobre. Qu’en est-il aujourd’hui en France ? CB News interroge tout au long du mois les grands acteurs concernés pour dresser un état des lieux.

Le premier invité de notre série est Jean-Philippe Baille, directeur de franceinfo et de l’information de Radio France.

CB News : Vous venez d’être nommé directeur de l’information de Radio France. Quelles sont vos missions ?

Jean-Philippe Baille : Mon objectif est de répondre aux défis du moment comme l’éducation à l’information. Même si le terme éducation fait un peu bourrage de crâne, l’idée est d’ouvrir les esprits et de sensibiliser sur ce qu'est une information. L’autre défi est de lutter contre une fatigue informationnelle : les sources sont trop importantes et parfois anxiogènes. Notre rôle est de décrypter. Le dernier enjeu est de réfléchir sur ce qu’est l’avenir du journalisme : quel est le rôle de l’IA dans les rédactions... Nous nous voyons régulièrement avec Laurence Bloch (directrice des antennes et de la stratégie de Radio France, NDLR) pour travailler de manière coordonnée sur ces grands dossiers.

CB News : Vous gardez votre poste de directeur de franceinfo. Une réorganisation est-elle prévue au sein de la rédaction ?

Jean-Philippe Baille : Pour l’instant, non. J’essaie de gérer mes deux postes : directeur de l’information de Radio France et pilote de franceinfo. Je trouve important de ne pas être déconnecté de ce qu’il se passe en interne dans les rédactions et de garder cette proximité.

CB News : Que représente la semaine mondiale de l’EMI pour vous ?

Jean-Philippe Baille : Un rendez-vous supplémentaire dans tout ce que l’on fait au quotidien à ce sujet. Tout notre travail est de donner des clés auprès du jeune public à travers un ton et une rythmique différente. Nous avons par exemple lancé tous les matins le podcast “Ça dit quoi ?”.

Podcast jeunesse franceinfo "ça dit quoi"
(© DR/franceinfo)

CB News : Quelles sont vos autres nouveautés ?

Jean-Philippe Baille : Au début du mois, nous avons lancé “Les coulisses de l’information” à franceinfo pour avoir de la transparence. Nous avons commencé avec la matinale qui sera diffusée bientôt sur notre canal Instagram et notre chaîne YouTube. L’idée est de créer de l’interactivité avec notre public. C’est pourquoi nous sommes depuis peu sur la chaîne WhatsApp. Dès janvier 2024, nous lançons aussi les webinaires “J’apprends l’info” en direct sur nos plateformes. Tous les mois, les journalistes donneront au public scolaire et aux enseignants des repères et des outils pédagogiques à travers les émissions Vrai ou Faux pour débusquer les fakenews, Salut l’info ! ou encore franceinfo junior avec Bayard Jeunesse...

CB News : Quel bilan faites-vous des émissions déjà bien installées sur vos antennes comme "Salut l’info !"ou Franceinfo junior ?

Jean-Philippe Baille : Franceinfo junior est aujourd'hui animé par Didier Deschamps et pleins d'autres personnalités veulent le faire... Malgré mon grand âge, j’apprends toujours des choses avec ces émissions. Il est toujours bien d’avoir l’essentiel raconté à hauteur d’enfant : en expliquant au plus jeune nous expliquons aussi au plus grand. Nous ne sommes pas des professeurs, mais nous apportons une pierre dans notre spécialité pour mieux comprendre l’actualité.

CB News : Vos actions sont très dirigées envers le jeune public, quelle place pour l’éducation des ainés ?

Jean-Philippe Baille : Nous ne traitons pas par secteurs. Les plus jeunes n'ont pas le réflexe d’écouter la radio donc nous allons les chercher là où ils ont leurs habitudes d’usages. Pour ce qui est des ainés, nous les touchons par nos émissions comme le Vrai ou Faux qui est devenu une marque commune à tout l’audiovisuel public.

Vrai ou Faux
(© DR/franceinfo)

CB News : Comment se faire entendre dans une société où "l'opinion et le buzz prennent le dessus" comme vous le dites ?

Jean-Philippe Baille : Pendant le Covid, nous avons vu que pleins de sujets faisaient débat dans la cour de récréation que nous ne traitions pas comme la fausse information : “le vaccin coupe les règles ? “. Il faut aller vers les gens. Nous avons également une journaliste Manon Mella qui a fait le Tour de France pour demander aux jeunes ce qu’ils attendaient des élections présidentielles, et les retours que nous avons eu : c’est vous ne parlez pas des sujets qui nous intéressent. Notre rôle est de proposer une information apaisée et de le revendiquer. Il faut devenir un refuge face aux fakes news, une référence.

CB News : Avez-vous un budget alloué à l’EMI au sein de Radio France ?

Jean-Philippe Baille : La réflexion est en cours pour mettre en place une enveloppe dédiée à l’EMI. L’une de mes envies est d’avoir des moyens propres pour l’ensemble de Radio France. Pour l’instant, chaque chaîne se débrouille avec son propre budget.

CB News : Une mission parlementaire sur l’EMI estime que “les initiatives des grands groupes de l’audiovisuel public ont du mal à « percoler » dans les territoires”, notamment hors Île-de-France. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Philippe Baille : France Bleu fait déjà un travail en association avec France 3 sur les territoires. Mais nous nous sommes rendu compte que l’audiovisuel public propose beaucoup de contenu. Nous voulons rassembler et avoir une offre cohérente et identifiée. C’est déjà le cas avec le Vrai ou Faux.

CB News : La popularisation de l’intelligence artificielle  générative, est-elle un nouveau danger pour l’éducation aux médias ?

Jean-Philippe Baille : L’intelligence artificielle peut-être un danger comme l’a montré la propagation de la fausse image d’un vieil homme en sang lors d’une manifestation contre la réforme des retraites. La photographie avait été générée par une IA  et les journalistes avaient mis des heures à la fact checker. Au sein de Radio France, nous avons une agence de vérification composée d’une vingtaine de journalistes qui passe leur temps à recouper les sources : être punk aujourd’hui, c’est de revenir aux fondamentaux.

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