Jérôme Fenoglio (Le Monde) : des offres d'abonnement "adaptées à toutes les envies de nos lecteurs"

Jérôme Fenoglio, Le Monde

Le journal Le Monde renouvelle ses formules d’abonnement, avec comme ligne de mire l’année 2025 et l’objectif d’un million d’abonnés. Jérôme Fenoglio, directeur du journal Le Monde, dévoile en exclusivité à CB News les nouvelles offres d’un média qui souhaite toujours davantage être soutenu par ses lecteurs.

Le Monde en trois mots, en 2020, c’est quoi ?

J’utiliserai le mot de « Journalisme ». Nous sommes un journal qui défend le journalisme sous toutes ses formes. Nous voulons défendre une idée très exigeante du journalisme, avec une vision d’utilité publique. Le deuxième mot, c’est l’indépendance. Grâce à une rédaction à l’écart de tous les pouvoirs et un équilibre entre l’abonnement et les recettes publicitaires qui garantit cette indépendance. Une indépendance qui construit ce qui sera mon troisième mot : la confiance. Les lecteurs savent que chez nous, ils auront une information rapide et vérifiée. Avec nos abonnés, une confiance très forte s’est établie. 

Une augmentation du nombre de lecteurs en ligne pendant cette crise, mais des annonceurs qui rechignent à investir : comment avez-vous appréhendé cette période ?

L’important quand on fait un journal, c’est d’avoir des lecteurs. On peut tout à fait comprendre qu’avec cette crise, certains annonceurs ont retiré leur budget. Mais on a eu plus de 300 millions de visites au moins de mars sur le site, et franchi un cap dans l’abonnement. L’un n’empêche pas l’autre. On a plus de lecteurs, les entreprises dans la conjoncture ont moins investi : mais cela reviendra.

Cela vous conforte-t-il davantage dans votre stratégie de recrutement d’abonnés ?

Oui, notre stratégie freemium a été confortée. Dans le gratuit, nous avons eu un live énormément consulté, et de l’autre côté, des articles premium de grande qualité. Mais l’un ne fonctionne pas sans l’autre. On a franchi les 300 000 abonnés numériques. C’est une augmentation très forte, pendant cette période mais ce mouvement était à l’oeuvre depuis déjà de nombreux mois. Les lecteurs restent chez nous, nous continuions à progresser au mois de mai. Des abonnés numériques auxquels il faut ajouter nos 100 000 abonnés papier. Au total, ce sont plus de 400 000 abonnés. C’est un chiffre que nous n’avons jamais connu. On s’est fixé un objectif d’un million d’abonnés en 2025, et le rythme d’abonnement actuel nous fait penser que c’est un objectif réaliste.

Le New York Times, un modèle assumé ?

On regarde bien sûr ce que fait le New York Times, mais on a chacun nos propres chemins. Le Monde a choisi le modèle du freemium, c’est-à-dire d’avoir des articles gratuits et payants. Je préfère ce modèle, plus harmonieux. En cas d’événements - notamment dramatiques, c’est très important de s’adresser aux lecteurs au-delà de nos abonnés. C’est aussi devenu une sorte de concurrent, parmi les grands journaux internationaux de référence, sur nos bassins linguistiques. On ne cherche pas à imiter tout ce que fait le New York Times, tout en l’ayant à l’oeil comme concurrent.

Vous lancez de nouvelles offres, pourquoi et quelles sont-elles ?

On a constaté que tous nos lecteurs n’avaient pas les mêmes besoins, notamment quant à la tarification. Un abonné qui estimait qu’il avait ce qu’il lui faut, devait parfois payer plus, et nous quittait. D’autres abonnés ont les moyens et veulent plus de services. Ces nouvelles offres sont adaptées à toutes les envies de nos lecteurs. Ce sont des offres qui permettent de donner la possibilité à nos abonnés de nous rester fidèle plus longtemps, en étant plus clair, sans variation de prix. On fait seulement varier le prix après un premier mois promotionnel, mais on restera au même tarif toute la durée de l’abonnement.

Notre première offre « Essentiel » est à 9,99€. On ne pourra plus dire qu’on est trop cher, c’est le prix d’un abonnement à un service de streaming musical ou d’une place de cinéma. Ensuite, on a différencié une offre qu’on appelle « Intégrale », à 19,99€, qui permet l’accès à davantage de services, à l’image de La Matinale du Monde, la lecture du journal électronique dès 11h du matin, l’accès à des formules de jeux et la possibilité de partager Le Monde avec la personne de son choix. La dernière offre « Famille », au prix de 29,99€, offre tous avantages de l’offre « Intégrale » avec en plus quatre comptes à partager avec les personnes de son choix et six hors-séries par an en version numérique.

On peut désormais s’abonner avec son compte Google, pourquoi ?

On peut passer par Google, comme on peut passer par iTunes (Apple) quand on est sur l’application. Il s’agit d’une simplification, car on est dépendant d’aucune plateforme. Il y aura en prime une offre promotionnelle (trois mois offerts si on s’abonne via Google, ndlr). Google avait sans doute envie de développer ces abonnements. Il y a une forme de soutien aux grands médias et au modèle de l’abonnement. Moi ça me va, à partir du moment où l’on reste indépendant.

Quels sont vos arguments pour convaincre de futurs abonnés ?

On le voit bien dans ces périodes de crise, c’est d’abord notre journalisme. On met toujours plus de qualité au service de nos lecteurs. On est dans des usages de plus en plus massif de l’abonnement car c’est simple, confortable et avec un média dans lequel on a confiance. Cette complicité, cette simplicité, c’est l’abonnement qui le permet. Et avec aujourd’hui des tarifs pour des budgets plus modestes.

Vous privilégiez la qualité et le long cours : une stratégie payante ?

Plus on fait un article fouillé, plus on a donné du temps à un reporter pour faire un format qu’on ne verra pas ailleurs, plus on recrute d’abonnés. Quand on envoie Florence Aubenas 11 jours dans un Ehpad (« A l’Ehpad des Quatre-Saisons, la vie et la mort au jour le jour »), c’est beaucoup lu, beaucoup commenté. Beaucoup de lecteurs s’abonnent. Les taux de conversion sont très forts dans ces moments, lors de ces grandes enquêtes ou de révélations, comme l’affaire Benalla. C’est évidemment extrêmement payant. Tant mieux, car c’est ce qu’on aime faire.

Le numérique à fond la caisse : le quotidien papier est-il voué à se transformer davantage ?

Le journal papier reste quelque chose d’important, car il nous permet de hiérarchiser l’information, de donner des points de repères à nos lecteurs. Par ailleurs, les lecteurs lisent massivement le journal électronique. Mais oui, on continue à simplifier et alléger les tâches autour de la réalisation du journal papier. Les articles dans notre quotidien sont les mêmes que sur le papier, notre journalisme reste le même, avec les mêmes valeurs. Je suis d’abord journaliste avant d’être papetier, donc je défend d’abord l’accès a des articles de qualité. Mais je ne suis pas pessimiste, je pense que cela peut durer encore longtemps.

Le Monde en 2030, ça ressemblera à quoi ?

J’espère que cela ressemblera à un média encore plus soutenu par ses lecteurs. On aura un modèle économique extrêmement soutenu par l’abonnement numérique. Mais cela restera « Le journal Le Monde », avec toutes les 24 heures un arrêt sur l’actualité. J’espère que ce sera un journal encore plus lu, notamment dans le monde, un très grand média de référence pour tous ceux qui parlent français. Davantage connecté encore à la culture française, avec des services multiples qui permettront aux lecteurs de se cultiver encore davantage. Le Monde sera un écosystème qui défendra la nuance, le discours complexe et le rapport à l’écrit.

Ci-dessous, une vidéo réalisée dans le cadre de la nouvelle campagne d'abonnement :

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