Nicolas Sterckx (Groupe Sud Ouest) : « la difficulté à faire passer les lecteurs au numérique n'est pas une fatalité"

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Arrivé à la tête du Groupe Sud Ouest en avril dernier, Nicolas Sterckx entend insuffler ses nouvelles ambitions. Avec le numérique en tête de liste, les chantiers mis en route en 2022 et pour 2023 trouveront sur leurs routes un contexte économique et financier pas toujours favorable. Mais le dirigeant se veut optimiste et résolu. Interview.

CB News : Aujourd’hui, qu’est-ce que le Groupe Sud Ouest (GSO) ?

Nicolas Sterckx : Historiquement c’est un groupe de presse qui est progressivement passé à groupe de médias et de communication via l’acquisition de nouvelles activités au fil des ans. Côté print, nous possédons les quotidiens Sud-Ouest, Charente Libre, Dordogne Libre, La République des Pyrénées ou encore L’Eclair. Nous détenons également quelques hebdomadaires locaux comme La Lettre du Bassin d’Arcachon et Le Résistant du Libournais, ainsi qu’un trimestriel dédié au rugby : Raffut. Nous sommes ainsi présents sur 7 départements de la région Nouvelle-Aquitaine… Nous avons également développé une activité d’agence de communication et de stratégies de marques, Eliette.

CB News : Vous êtes également présent dans l’audiovisuel ?

Nicolas Sterckx : En effet. Nous sommes propriétaire des TV locales TV7 à Bordeaux et TVpi à Bayonne. Et nous avons également une agence de presse télévisuelle, Digivision, qui est active dans la production de documentaires pour la télévision et de reportages de news locales pour des chaines nationales (TF1, M6 et Euronews…).

CB News : Et GSO en quelques chiffres ?

Nicolas Sterckx : Au global, notre chiffre d’affaires était de 166 millions € en 2021 et de 170 millions € en 2022. Nous ne communiquons pas de prévisions pour 2023. L’activité print représente à peu près la moitié de l’activité de GSO. Nous comptons 1100 collaborateurs. Nous avons environ 150 000 abonnés papier, 70 000 acheteurs réguliers qui se procurent nos journaux en kiosque-points presse et un peu plus de 42 000 abonnés purement numériques. Je note au passage +20 % pour les abonnés numériques sur les trois derniers mois de 2022.

CB News : Quelle est votre stratégie numérique, justement ?

Nicolas Sterckx : Concrètement, aujourd’hui, notre ratio taux d’abonnés numériques/total abonnés est de 22%. Nous sommes les premiers dans la Presse quotidienne régionale (excepté Le Parisien). Mais ce n’est pas parce qu’on est premier en PQR que l’on performe en terme d’abonnements numériques. Si l’on se compare à la Presse quotidienne nationale qui peut atteindre un taux de 50%, nous en sommes même encore loin. Puis, la typologie de lectorat de la PQR fait que l’on a plus de difficulté à faire passer nos lecteurs au numérique par rapport à la PQN.

CB News : Que faire alors ?

Nicolas Sterckx : D’abord, ce n’est pas une fatalité. Cela demande un travail assez spécifique pour faire passer nos lecteurs actuels du print vers le numérique. La tranche 55-65 ans est ainsi difficile à convaincre. Mon enjeu, je ne le cache pas, c’est plutôt d’attirer de nouveaux lecteurs.

CB News : Comment ?

Nicolas Sterckx : Nous avons mis en place une stratégie en deux grands axes. Nous entendons miser d’abord sur le développement de verticales que nous qualifions d’« entrepreneuriales », en capitalisant sur un thème sur lequel on peut avoir de l’engagement afin d’enrichir notre base de lecteurs. Nous nous appuyons ainsi sur les savoir-faire du groupe. Cela préexistait depuis une dizaine d’années autour de la thématique du vin. Nous avons développé une verticale dédiée à l’économie et une autre sur le rugby… Tout cela nous permet de développer des communautés hors de nos lieux de rayonnement. Cela m’intéresse que des lecteurs potentiels intègrent notre univers, nos propositions numériques avec à termes, c’est idée de monétisation, bien sûr.

CB News : Et le 2ème axe ?

Nicolas Sterckx : Au-delà du triptyque papier-digital-audiovisuel, nous avons un métier complémentaire dont l’enjeu stratégique est d’aller chercher de nouvelles communautés : l’événementiel. Notre structure Côte Ouest organise des salons, événements (une cinquantaine chaque année). Chacun d’eux nous permet là aussi de séduire une communauté : dans le tennis ou le surf, notamment, avec des compétitions que nous organisons. Pour faire venir les jeunes sur nos offres numériques, j’ai également pris la décision d’offrir à tous les Bacheliers qui le souhaitent la version numérique de Sud-Ouest gratuitement pendant 1 an.

CB News : Comment s’est comportée la publicité en 2022 pour GSO ?

Nicolas Sterckx : Notre année 2022 a été secouée. La publicité s’est bien portée sur le 1er semestre sur le locale, mais a connu une baisse drastique à partir de la mi-juillet. Au niveau national, la publicité gérée par la régie 366 était un peu en retard au 1er semestre, mais a repris des couleurs au second, sans rattraper son retard cependant. Au final, notre régie Sud Ouest Publicité enregistre une progression en local sur la partie publicité commerciale de +6% vs 2021 et un CA global incluant les Annonces classées en progression globale de + 4,2%.

CB News : Quels sont vos chantiers prioritaires pour 2023 ?

Nicolas Sterckx : Bien évidemment, comme je le disais plus haut, le numérique, avec également le développement de nouvelles offres (partenariat, affiliation, ecommerce). Nous sommes en outre clairement dans un processus d’identification de nouvelles verticales. Je souhaite également le développement de la vidéo qui tourne actuellement autour de 500 par mois. Et puis, nous avons établi notre raison d’être. Celle-ci doit s’insuffler dans tous nos process pour qu’elle devienne centrale. Il faut que cela prenne une autre dimension. Nous sentons bien qu’il y a une vraie volonté en la matière de la part de nos collaborateurs.

CB News : L’année 2022 a été marquée par des hausses du prix du papier, de l’énergie…

Nicolas Sterckx : Nous avons enregistré un tsunami sur les coûts qui a commencé en 2022 dont les effets vont se prolonger en 2023. Un doublement du prix du papier. Nous consommons 12 000 tonnes de papier/an et le prix à la tonne est passé de 500 à 1 000 €, soit 6 M€ d’augmentation. Ces augmentations sont pérennes, il va falloir que la profession apprenne à vivre avec ces nouveaux prix qui ne baisseront plus. Comme tout le monde, nous subissons également l’augmentation du coût de l’énergie : nous avons trois rotatives à Bordeaux, une à Pau avec là aussi un doublement des coûts. Nous avons également 900 porteurs sur la route qui vont livrer nos journaux tous les matins (essence, défraiements kilométriques, etc.). Un poste qui augmentent donc aussi très fortement. Je note également nous devrons dorénavant payer en cash la « taxe Citeo » sur le recyclage du papier. Cela représente tout de même plusieurs centaines de milliers d’euros.

CB News : Comment GSO fait-il face ? Avez-vous été tenté par la réduction de la pagination de vos titres, par exemple ?

Nicolas Sterckx : Je tiens absolument à ce que nous ne réduisions pas le nombre de pages ! En revanche, nous avons travaillé sur le format du journal, en réduisant la hauteur de la page. Nous travaillons donc sur de nouvelles maquettes et sur la longueur des articles de l’ensemble de nos journaux. C’est un processus industriel assez lourd. Cela devrait nous permettre d’économiser environ 13 % de papier. C’est plus d’un million € d’investissement pour nous.

Nous avons également décidé d’arrêter les enveloppes qui emballaient le journal pour les abonnés. Ceux-ci recevrons leur titre avec une simple étiquette avec leur nom et adresse collés à celui-ci. Ce qui nous fera économiser quelques centaines de milliers d’euros. Je également décidé de réinvestir le terrain avec des animateurs sur place afin d’améliorer la distribution de nos journaux au quotidien. C’est un vrai enjeu pour la PQR. Lorsque l’on n’a pas suffisamment de porteurs, nous sommes contraints de passer par La Poste qui ne livrera que bien plus tard par rapport à nos porteurs. Ce que les lecteurs abonnés apprécient peu. D’après nos calculs, nous savons que sur 100 abonnés livrés par La Poste lorsque nous y sommes contraints, une cinquantaine abandonnent l’abonnement. J’ai décidé également que soit augmenté le nombre de hors-série et suppléments. Nous lançons ces types de titres lorsqu’ils sont financés et profitables. J’ai demandé aux équipes d’en réaliser 50 de plus en 2023.

CB News : Le Gouvernement a annoncé en décembre un coup de pouce de 30 millions € pour les éditeurs de presse. C’est une bouffée d’oxygène ?

Nicolas Sterckx : C’est bon à prendre, bien sûr. Le Gouvernement était à l’origine parti sur une aide de 5M€, donc c’est une nouvelle somme plus intéressante. Mais nous n’en connaissons pas encore la répartition. Ce qui m’étonne tout de même, c’est que le Gouvernement met en avant une compensation des effets de la guerre en Ukraine. Mais le prix du papier n’est pas un effet direct du conflit actuel. Cet effet est notamment lié aux transferts de l’activité papier vers le carton par les papetiers. S’il s’agit donc d’uniquement couvrir les frais liés à l’énergie, ce n’est pas tout l’essentiel du problème. Il est bien plus large. L’Alliance de la presse d’information générale estimait pour sa part les aides nécessaires autour de 120-180 millions €. D’après nos calculs, l’aide gouvernementale couvrirait en ce qui nous concerne de 10 à 15 % de l’impact réel de l’augmentation de nos coûts.

CB News : Un mot sur la conclusion de l’accord sur les droits voisins ?

Nicolas Sterckx : Nous touchons en ce qui nous concerne des sommes assez significatives. Cela nous fait du bien sur la période. Mais je suis toutefois assez d’accord avec certaines personnalités de la profession sur le fait que la rémunération est insuffisante par rapport à la réalité de la valeur utilisée par les plateformes. Pour une première étape, c’est intéressant, mais je ne me dis pas du tout que nous y sommes arrivés, que nous sommes dans un bon équilibre entre le transfert de valeur colossale du travail de nos 370 journalistes, repris par Google ou Facebook. Concrètement, les coûts que nous supportons ne sont pas ici compensés. C’est une problématique qui va prendre encore plus d’ampleur quand on se dit que de plus en plus de gens vont consommer ces informations sur des supports qui ne sont pas les nôtres. Le papier a certes encore de très longues années devant lui, j’en suis certain, mais si l’on se projette dans 5-10 ans, la consommation sur tablette, ordinateur ou mobile va encore progresser. Il faudrait dès lors que la mécanique des droits voisins suivent cette évolution des comportements et des usages. Ce qui est bien pour 2022, est ce que cela sera bien pour 2025 ou 2028 ? J’en doute fortement.

CB News : Vous êtes arrivé en avril 2022 à la direction générale déléguée de GSO avec en ligne de mire la succession de Patrick Venries, son directeur général ? Comment s’est-elle déroulée ?

Nicolas Sterckx : La passation officielle s’est faite fin juin. Il est resté jusqu’au 30 septembre, date où il a quitté le groupe. Nous avons fait fin septembre une convention en son honneur. Je suis donc depuis cette date seul aux commandes. Toutefois, je fais appel à lui ponctuellement pour m’accompagner sur certains rendez-vous.

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