Suppression de la redevance TV : le contre-exemple espagnol

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Alors que vient d’être officiellement annoncé par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire la fin de la redevance audiovisuelle d’ici la fin de cette année, la société NPA Conseil s’est livrée à une étude comparative sur cette même situation qu’a connue l’Espagne, à partir de 2010, portée par la réforme mise en place par le Gouvernement Zapatero, avec la RTVE*. Si pour l’heure, côté français, on indique que « le financement de l’audiovisuel public sera assuré dans le respect de l’objectif à valeur constitutionnelle de pluralisme et d’indépendance des médias », selon les termes du ministre, côté Bercy on concède que le mécanisme qui remplacera le mode de financement actuel n'a pas encore été précisé. La redevance TV rapporte tout de même plus de 3 milliards d'euros nets par an que France Télévisions, Radio France, Arte, France Média Monde et l’INA se partagent. Une dotation régulièrement revue à la baisse par les contrats d'objectifs et de moyens (COM) successifs des groupes audiovisuels publics depuis plusieurs années déjà.

Un nouveau mécanisme de financement

En Espagne, relève NPA, les ressources audiovisuelles publiques s’élevaient à 1,1 milliard € en 2021, soit un tiers de moins par habitant que les entreprises de l’audiovisuel public français (données de l’UER, ndlr). Dans sa réforme, le gouvernement Zapatero supprimait la publicité sur les chaînes publiques, limitant ses ressources commerciales aux seules recettes de parrainage. En 2021, ces dernières se sont élevées à 90 millions €, soit 5,5% de part du marché espagnol de la publicité TV (source CNMC). Pour compenser la perte, ce gouvernement mettait en place le reversement du produit d’une taxe sur l’utilisation des fréquences (410 millions € par an) et une taxe prélevée sur les opérateurs télécom (180 millions €). Parallèlement, le budget général de l’État, mais aussi l’accumulation des déficits, et la dette (364 millions € à la mi 2021), assurent le solde du financement de la RTVE. Dans ce contexte, la dotation budgétaire annuelle a diminué de 23,5% depuis 2010 (et de presque 40% si l’on tient compte du niveau de l’inflation entre ces deux dates !), alors que parallèlement, la part d’audience des deux principales chaînes publiques a perdu plus de 10 points.

Une situation dans laquelle la contribution de l’État espagnol est donc marquée par une « extrême instabilité » avec, par exemple, une chute de plus de 250 millions € entre 2011 et 2012, souligne NPA Conseil. Sans véritable surprise, pointe NPA Conseil, la réduction des moyens des chaînes publiques s’est traduite, « plus que proportionnellement », dans l’évolution de leurs parts d’audience : entre 2010 et 2021, le cumul de la 1 et de la 2 a perdu plus de 10 points sur le public des 14 ans et + pris pour référence par l’AIMC, revenant de 23,1% à 12,8%. À titre de comparaison, observe encore l’étude, et malgré le lancement des 6 nouvelles chaînes TNT HD de 2012, l’érosion a été inférieure à 3,5 points au cours de la même période, pour France 2 et France 3 (de 28,3% à 24,9%, sur la cible 15 ans et + ; source : Médiamétrie).

Pour les Espagnols, l’effondrement n’a que « très partiellement » profité aux chaînes privées leaders du pays : si Antena 3 a gagné plus de 4 points de part d’audience (PDA) sur la période, la position de La Sexta, par exemple, s’est, elle, érodée, note l’enquête. Et c’est surtout l’attractivité du média TV, dans son ensemble, qui semble avoir pâti de l’incapacité des chaînes publiques à « tenir leur rang » : quand la durée d’écoute a progressé de 11 minutes en France, entre 2010 et 2021, elle a perdu près de 20 minutes en Espagne sur la même période. Impitoyable.

Les services de SVoD en profitent

Côté services de SVoD, ceux-ci « semblent en avoir profité davantage que les chaînes de télévision privées en clair ». Là aussi sans grande surprise, la SVoD, et plus particulièrement les plateformes américaines qui dominent le secteur, apparaissent comme les premiers gagnants de la période en Espagne : la proportion de foyers abonnés à un service au moins atteignait 58% à la fin 2021, contre 49,5% en France (source : Baromètre OTT NPA Conseil Harris Interactive). Et le leader Netflix y était alors présent dans plus d’un foyer sur deux, soit plus de 12 points de plus qu’en France (37,8%).

Conscient du malaise, en 2021, le Gouvernement espagnol change de braquet et fait évoluer sa réforme du financement de l’audiovisuel public. Celle-ci institue une forme de « prime à l’échec » pour les dirigeants de l’audiovisuel public, indique NPA Conseil : en remplacement de la taxe jusqu’alors versée par les opérateurs télécom, elle prévoit en effet que les chaînes privées gratuites contribuent au financement de la RTVE à raison de 3% de leurs revenus annuels, et que les SMAD et les plateformes de partage de vidéos lui en reversent 1,5%. « Des chaînes publiques performantes en audience, qui feraient de l’ombre à leurs homologues privées et réduiraient leur capacité de collecte publicitaire ou, s’agissant des services payants, l’incitation à s’abonner, verraient donc leur financement se réduire. Et inversement », conclut l’étude. De quoi donner quelques pistes à éviter (ou pas) pour les têtes pensantes de Bercy.

*: RTVE : La 1, La 2 et la chaîne jeunesse Clan principalement, les stations de radio RNE et Radio Clàsica notamment ainsi que l’audiovisuel extérieur….

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