Conseil en choix d'agence : le marché vu par... Pierre-Edouard Heilbronner (onzedixièmes)

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(© Natalya Velykanova)

Business clé pour les agences et les annonceurs, le marché du conseil en choix d’agence a connu et subi, comme tout l’écosystème de la communication, la crise sanitaire. L’opportunité pour CB News d’aller à la rencontre de ces entreprises pour faire un état de lieux et dresser quelques perspectives. Après Gilles Fraysse, président-fondateur de Happy Match, Fabrice Valmier, co-dirigeant du groupe VT Scan, Pitchville pour une interview à trois voix avec Marie-Charlotte Longueville et Stéphanie Pitet, cofondatrices, et Jean-Philippe Gilbrain, chargé du développement, Thomas Sabatier, fondateur de Pitchichi, Nicolas Gondeau et Nathalie Descout, respectivement président et directrice générale de The Observatory International, Nathanaël Rouas, cofondateur de kikar.co, place aujourd’hui à Pierre-Edouard Heilbronner, président de onzedixièmes.

CB News : Avec la crise sanitaire qui perdure, quelle perception avez-vous des annonceurs vis-à-vis des compétitions d’agences ? Fébrilité ? Attentisme ? Volontarisme ?

Pierre-Edouard Heilbronner : Certains sujets qui avaient plus ou moins été mis en attente sont revenus. Ils ont attendu le « bon » moment mais honnêtement il n’y en a jamais de bon et on est passé d’une situation de sidération à une attitude pragmatique, on avance, on ne va pas rester sans rien faire pendant 107 ans. Je ne dirais pas que le regard sur les consultations a changé. Il n’y a ni urgence ni fatalité.

CB News : Quels sont les constats et les attentes/demandes des annonceurs pour leurs communications ?

Pierre-Edouard Heilbronner : Durant le plus fort de la crise, évidemment, mener une consultation n’était une priorité pour personne. Mais au fur et à mesure, le questionnement de communication s’est transformé : maintenir les niveaux d’activité, question primordiale, s’est vite enrichi de préoccupations de fonds, stratégiques, pour lesquelles un certain nombre d’annonceurs n’étaient pas assez équipés. C’est probablement une bonne nouvelle d’ailleurs, après une longue période dans laquelle les outils, la pure technicité étaient en première ligne, de voir réapparaître des questionnements stratégiques sur lesquels les agences peuvent avoir une vraie valeur ajoutée. Mais soyons honnête, cette redistribution fait des perdants, les agences qui n’ont pas assez de capacités stratégiques réelles…

Par ailleurs, les annonceurs sont de plus en plus soucieux d’une prise en compte globale de la coopération. L’objectif strat/créa bien sûr, mais aussi l’organisation du service d’agence, de la coopération, dans une optique, de durabilité. Une vision claire, saine et constructive. Pour répondre à cette attente, chaque Long List est du sur mesure, pas d’agence chouchou. Pas d’agences « référencées » d’ailleurs, uniquement celles capables de répondre à la demande du client.

Sur ce point nous nous sommes rendus compte d’une vraie inquiétude des annonceurs sur l’indépendance de leur conseil par rapport aux agences consultées. Le fait que notre seule rémunération soit celle versée par l’annonceur -pas de référencement, pas de fees en cas de victoire…- est très important pour établir la confiance.

Enfin, les annonceurs demandent maintenant à leur agence de les aider à évoluer sur des sujets techniques et complexes d’ordre légal et sociétal. La data et le RGPD bien sûr mais aussi le poids écologique de leur communication, notamment digitale. Et ils deviennent soucieux d’éléments comme les indices d’égalité H/F, l’existence de vrais plans de développement des compétences ou le turnover des équipes agence…

CB News : Le conseil en choix d'agences a-t-il spécifiquement évolué avec la crise sanitaire ? Et même à l’aune des thématiques prégnantes comme la RSE, l’éthique ou encore la transition écologique ? Cela devient plus complexe ?

Pierre-Edouard Heilbronner : Les appels d’offres, c’est de plus en plus comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique. En tous cas pour nos clients.

Avant l’appel d’offres, l’annonceur veut de plus en plus être sûr qu’il y en a vraiment besoin d’un, qu’on ne peut pas réparer la relation. C’est du bon sens quand on voit le coût global élevé d’un AO et c’est tout à fait notre culture.

Et nos clients sont responsables. La situation des agences est fragile, les derniers mois ont été difficile pour tout le monde et on n’organise que des appels d’offres dans lesquels les agences shortlistées non retenues sont indemnisées.

Enfin, nous avons pu organiser sans avoir à argumenter des AO dans lesquels les agences avaient un vrai brief, un accès au client, la possibilité de le questionner, etc… et les agences reçoivent un brief sur un vrai besoin, avec un réel business à la clef, pas un accord cadre ou une question pour la gloire.

Ça peut sembler évident mais beaucoup d’agences semblent surprises que cela puisse se passer ainsi.

CB News : Comment décririez-vous la relation agence-annonceur aujourd'hui ?

Pierre-Edouard Heilbronner : Comme les vieux statuts Facebook : « C’est compliqué » !

D’abord, il faut le reconnaître, certains annonceurs se comportent mal avec leurs agences, en toute conscience. Ça complique beaucoup et tire le marché vers le bas, ils sont un mauvais exemple, une culture toxique. Et nous ne travaillons pas avec eux. Nous ne voulons pas.

Si nous intervenons c’est parce qu’il est possible de mettre en place une coopération annonceur agence saine, durable, équilibrée, c’est les conditions de l’utilité d’une agence et de ses talents.

Sur le reste du marché il y a une pléthore d’offres qui perd un peu les annonceurs, ils sont en manque de clarté. Un peu comme dans ces vieux restaurants asiatiques avec des menus de 60 pages avec 80 plats par page. Devant l’abondance du choix, on finit toujours par se rabattre sur les 3 ou 4 mêmes, comme le canard laqué et le riz cantonais. Et dans le marché l’offre agence est abondante et multiforme, il n’y a pas que des agences traditionnelles dans l’offre de service !

Souvent, on observe que des annonceurs confient à leur agence des missions qui ne sont pas de leur compétence/ scope et ça peut permettre des choses inattendues, extraordinaires, mais souvent ça génère des frustrations réciproques. D’autant que 3 éléments compliquent tout :

-  Le temps : au-delà de la désormais rebattue accélération du temps publicitaire, les équipes sont surchargées, les études le montrent. Et du coup travaillent mal, avec des briefs insuffisamment travaillés et des choix stratégiques ou créatifs trop émotionnels

- La compétence : beaucoup de gens qui font le métier ne l’ont pas appris. Les parcours sont divers, c’est une richesse, mais ça veut aussi dire qu’on a des gens certes intelligents mais pas toujours formés sur les méthodes du quotidien. Et même quand on est un marketer, ce n’est pas pareil qu’être un communicant…

-  L’argent : on fait beaucoup plus avec autant ou moins. Même avec de l’envie et la bonne volonté ça tort les rapports…

Côté agence, beaucoup ont changé. Pas toutes, certaines étant encore bloquées avant internet ou même dans les années 80, mais c’est rare. Elles sont à la recherche d’un nouveau souffle sur des dimensions stratégiques et créatives, porteuses de valeur et c’est très important car ces dernières années elles ont surtout vendu de la bande passante, de la capacité à livrer les projets. Cette évolution devrait permettre une meilleure capacité de résistance devant la double offensive des outils et des cabinets de conseil. On voit ainsi apparaître des réflexions intéressantes sur la rémunération de la valeur apportée, au-delà du temps. Mais c’est un sujet encore difficile à entendre de la part des annonceurs. C’est dommage car ça permettrait de mettre un coup d’arrêt à la juniorisation des équipes, aux stagiaires permanents et alternants faisant office de seniors que les annonceurs acceptent de moins en moins.

CB News : Comment se porte onzedixièmes aujourd'hui ?

Pierre-Edouard Heilbronner : Nous avons créé onzedixièmes en 2003 pour améliorer la coopération entre annonceurs et agences et un de nos premiers leviers d’action a été la formation des équipes, la co-construction de méthodes de travail.

En 2020, notre métier d’origine est passé quasiment à l’arrêt : plus de formations, de séminaires ou de workshops. Pour nous ça a été d’autant plus difficile qu’accompagner des appels d’offres c’est la solution de dernier recours, c’est si la relation annonceur-agence n’est pas réparable ou adaptable à de nouveaux enjeux. En tant que « conseillers conjugaux » notre première préoccupation est d’éviter des séparations inutiles. Après tout, le meilleur AO c’est celui qu’on n’a plus besoin de faire et qu’on ne fait pas.

Mais l’activité d’audits de la coopération et de conseil a pu se poursuivre en partie, ainsi, en mineure, que des appels d’offres, sur des sujets stratégiques. Comme nous avons l’habitude de fonctionner avec des experts pointus depuis partout sur le territoire, le distanciel n’a jamais été un mode d’intervention dégradé…

2021 voit revenir une activité plus équilibrée entre les missions d’amélioration de la coopération annonceur-agence -audit & conseil, workshops, formations…- et les missions de mise en place de coopérations saines et durables. Et l’avenir se présente très joliment…

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