Laurent Habib (AACC) : Couper les budgets de communication serait une erreur grave

Laurent Habib

CB News poursuit sa série d'interviews, à chaud, avec le témoignage de dirigeant(e)s d'agences sur la crise sanitaire et économique. Les réponses de Laurent Habib, fondateur de l'agence Babel et président de l'AACC.

1) Comment réagissez-vous face à cette crise sanitaire ?

En tant qu’homme d’abord, je suis stupéfait par cet événement qui sonne comme un tragique retour du réel dans nos vies : retour de l’imprévisibilité quand nous pensions pouvoir tout anticiper, retour de la maladie et de la mortalité quand nous pouvions nous rêver toujours plus préservés, retour des frontières quand nous nous étions mis à croire à notre ubiquité. En tant que père de famille et ami ensuite, je suis soucieux pour mes proches. En tant que chef d’entreprise enfin, je suis préoccupé par la situation économique de mon entreprise et par la situation sociale et psychologique de mes salariés. Cette crise sanitaire est terrible pour notre secteur, de l’événementiel ou de la production (qui sont les plus touchés) à la publicité. Par chance, le gouvernement a bien et vite réagi sur le plan économique, en prenant des décisions qui s’avèrent majeures pour les agences de communication. Je pense au report des charges sociales, à la garantie de financement à hauteur de 90% par la BPI ou encore aux mesures qui permettent la mise en place du chômage partiel.

2) Commencez-vous à mesurer l’impact financier de la crise?

C’est d’abord l’impact sur l’activité que nous mesurons chaque jour, puisque les projets sont annulés ou reportés les uns après les autres. Sur le plan financier, l’inquiétude pèse évidemment sur tout le secteur, et on peut parier sur une baisse supérieure à 20 % de nos revenus globaux sur l’année. Et, au delà, c’est peut-être à une baisse structurelle, sur le moyen et long terme, à laquelle il faut s’attendre, puisque la crise pourrait renforcer les tendances que l’on observe déjà depuis quelques années : dématérialisation des plans d’action, baisse des investissements média, internalisation de la communication chez les grands clients, etc. Et s’ajoute encore à cela une fragilisation supplémentaire pour les acteurs indépendants du marché, dont fait partie Babel. Pour nous, l’impact est encore plus violent puisque nous vivons tous avec des problème de trésorerie qui, avec la crise, pourrait devenir mortifères pour de nombreuses agences. Comment payer deux, trois, voire quatre mois de salaires sans revenus ? Et par la suite, il faudra bien rembourser les charges qu’on a repoussées. 

3) Comment réagissent les clients ? Reports de campagnes, changement de stratégies de communication... ?

Comme nous tous, les clients aussi connaissent de sérieuses difficultés financières. Ils encaissent parfois des baisses d’activité spectaculaires. Je pense aux secteurs du tourisme, par exemple. Je pense au groupe ADP, que je connais bien… Leurs pertes seront immenses. Certains secteurs pourraient ne pas se redresser : l’hôtellerie ou la culture, par exemple, risquent de faire face à une crise profonde. Ou encore le commerce de proximité. Alors, et malgré tous les efforts que nous avons déployés au cours des dernières années pour faire changer les mentalités, la plupart des clients risquent de couper en priorité les budgets de communication pour faire des économies. Comme si la communication n’avait de sens que lorsque tout allait bien, comme si elle n’était pas directement articulée au business. C’est une erreur grave. Pas seulement parce qu’elle met les agences en danger. Mais parce que, pour redémarrer leur activité, nos clients auront besoin de marques qui auront su rester puissantes, solidaires et vectrices de sens durant cette période, et ce, tant pour leurs salariés que pour leurs clients.

4) Quel peut et doit être le rôle de l'AACC dans cette crise ?

L’AACC reste, dans cette crise comme en d’autres périodes, un lieu d’échange et de partage. Depuis le début de la crise, nous nous serrons tous les coudes. Nous avons décidé, depuis le confinement, de réunir notre bureau toutes les semaines par téléphone et le CA tous les quinze jours, et nous maintenons des échanges quotidiens entre nous pour nous conseiller et échanger des informations. De plus, l’association est en première ligne dans la négociation avec les pouvoirs publics. Nous avons ainsi obtenu l’optimisation des dispositifs d’aide pour nos métiers (en particulier, l’application du chômage partiel aux forfaits jours). Nous allons également mener une action avec l’UDM (union des marques) et les autres associations du secteur pour appeler les annonceurs à maintenir leurs investissements. Bref, nous sommes au front.

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