Netflix, j’y vais ou j’y vais pas ? Dorothée Caulier et François Liénart (CoSpirit Groupe)

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Historiquement, annonceurs et agences média pointent la nécessité, voire l’obligation, de disposer de metrics fiables et transparentes des audiences aussi bien sur le linéaire qu’en ligne. Début novembre 2022, Netflix lançait son offre avec publicité. Le service de streaming, à date, ne communique pas ses données d’audience et, pourtant, bon nombre d’annonceurs se ruent sur ses espaces publicitaires… CB News est parti interroger le marché sur ce qui pourrait ressembler à un étrange paradoxe. C’est « Le débat CB News ». Il propose une série d’interviews des parties prenantes. Après Emmanuel Crego (Values.Media), Bertrand Beaudichon (Initiative), Riccardo di Mauro (Anacrouse), Stéphane Gorre (Agence79), Marlène Auvieux et Philippe Bonnel, respectivement directrice Télévision et président de Repeat Groupe, place aujourd’hui à Dorothée Caulier et François Liénart, respectivement directrice générale de CoSpirit Media et directeur Data & Insights de CoSpirit Groupe.

CB News : Depuis début novembre 2022, Netflix propose une offre avec Publicité. Une bonne nouvelle pour les agences média ?

Dorothée Caulier et François Liénart : Oui, c’est une bonne nouvelle pour tous les acteurs du marché. L’univers de l’écran de télévision subit ces dernières années une transformation majeure des usages, et cela traduit bien le dynamisme de ce support. Netflix (tout comme ses confrères Prime, MyCanal, OCS, Paramount, Disney, Apple…) participe à l’enrichissement des modes de consommation du média, et permet de satisfaire au mieux les attentes des consommateurs, et ce même si une recomposition du paysage peut déstabiliser temporairement les acteurs traditionnels. Dans la lignée de Netflix, les nouveaux entrants SVOD apportent indéniablement un complément de couverture auprès de consommateurs moins sensibles à la TV linéaire tout en complexifiant les stratégies médias du fait de la délinéarisation de la consommation.

Dans le même temps, on peut s’interroger sur la pérennité du modèle mix abonnement/publicité, dans la mesure où rien ne garantit le maintien d’un volume contenu de publicité. Quid de la fidélité d’un abonné payant lorsque le volume de publicité aura atteint - voire dépassé - les usages constatés sur la TV linéaire ? A titre de comparaison, le cousin Youtube entame le chemin inverse, en proposant la disparition de la publicité, moyennant un abonnement payant !

CB News : Conseillez-vous à vos clients d’y investir publicitairement ?

Dorothée Caulier et François Liénart : Pour peu que Netflix accepte l’annonceur (Cf sa politique éditoriale), à ce jour, il convient d’y réfléchir à deux fois. Tout d’abord parce que le support est très coûteux. S’il a voulu s’inspirer des benchmarks commerciaux du digital, il s’est sans doute surtout frotté à des objectifs de chiffre d’affaires très/trop ambitieux et à priori pas en phase avec les volumes d’abonnés escomptés (et finalement enregistrés). In fine, 5 à 8 fois plus cher que la TV linéaire, le coût contact reste aujourd’hui prohibitif. Qui plus est, les offres commerciales sont dénuées de notions de ciblage, ce qui rend son optimisation particulièrement délicate.

Dans le même temps, seul le ROI prévaut dans pareil cas, et pour les annonceurs dont la cible est en phase avec le support Netflix, quelques premières campagnes peuvent permettre d’acquérir de premiers enseignements « test&learn ». Encore faudrait-t-il à l’idéal que Netflix joue le jeu de cette acquisition de connaissances, en conditionnant l’impact financier des premiers enseignements.

Les agences médias et les annonceurs plaident fortement et depuis longtemps, encore lors des dernières rencontres de l’UDECAM en novembre dernier, pour la mise à disposition de metrics toujours plus fiables et transparentes sur les audiences, aussi bien sur le linéaire qu’en ligne. Netflix n’en communiquent pas. N’y a-t-il pas là un paradoxe un peu gênant pour les agences médias au cœur du réacteur et les annonceurs, voire même un peu d’hypocrisie ?

C’est tout le paradoxe imposé par les leaders entrants du digital. Souvent éditeurs de leurs propres audiences, indicateurs et outils d’achats, l’acceptation d’un tiers certificateur ou mesureur prend souvent du temps, et laisse place à de nombreux « flottements ». Bercés par l’effervescence de la transformation digitale, des nouveaux acronymes enchanteurs boostés aux nouvelles technologies datas, certains acteurs du marché se prennent souvent à croire au miroir aux alouettes, balayant du revers de la main des dizaines d’années de culture et d’enseignements médias, au profit d’un nouvel algorithme dopé à l’IA. Netflix joue aujourd’hui la partition d’un acteur à la mode, qui se considère comme incontournable au regard de chiffres dont lui seul a le secret. Une plus grande transparence sur la mesure des audiences est à court terme essentielle. Prenons garde à cette occasion de ne pas opposer ciblage socio démo et ciblage data. Ces mesures sont complémentaires.

Enfin, sur la comparaison des coûts, si le digital n’a jamais accouché d’une notion partagée de GRP, il est contraint à exploiter le CPM. A une époque où l’€ perdu en analogique doit se transformer en € digital à valeur ajoutée, l’absence de comparaison avec le C/GRP historique des médias traditionnels peut s’avérer opportun pour certains... La TV linéaire est ici à son avantage avec un CPM le plus souvent ultra compétitif face au digital, mais à ne pas mettre en comparaison directe avec le CPM de la TV data (ou segmentée) dont la digitalisation du flux a multiplié le coût par 2 ou 3 !

CB News : Les clients de l’agence sont-ils moteur dans ce choix d’être présent sur les espaces de Netflix, ou y-a-t-il un rapport de force entre l’agence et son client ?

Dorothée Caulier et François Liénart : Nous travaillons en confiance et transparence avec tous nos clients. Nous restons en veille permanente sur l’évolution du média et apportons à nos clients toutes les expertises nécessaires à la bonne compréhension des nouveaux usages de la télévision. C’est donc en concertation, tout en tenant compte des opportunités et limites de ces nouveaux canaux, que nous choisissons d’investir ou non.

CB News : Netflix mesuré par Médiamétrie, par exemple, une attente forte de votre part ?

Dorothée Caulier et François Liénart : Médiamétrie reste aujourd’hui la référence du marché de la télévision. Une convergence de la mesure au sein d’une même échelle nous apparait essentielle pour un maximum de transparence d’une part, mais aussi et surtout pour permettre au marché de développer l’expertise nécessaire à l’optimisation des stratégies, dans un objectif unifié de ROI. Nous avons ici, collectivement, un gros effort d’interopérabilité et de formation à opérer pour dynamiser un marché chahuté économiquement ces dernières années. Rappelons enfin qu’aucun nouvel entrant média n’a jamais tué définitivement les médias historiques en place. Si une redistribution des cartes est nécessaire, parfois avec douleur, elle aboutit finalement à une consommation médias cumulée qui ne cesse de croître.

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