Charal enquête sur l'alimentation connectée

Le 17 octobre dernier, se déroulait à Paris, la 3ème édition des rencontres MeatLab Charal, qui, conçues avec l’IFOP avaient pour objectif d’évoquer la thématique de l’alimentation et la façon dont celle-ci est impactée par les évolutions sociétales. Flexitarisme, question du genre, c’est au tour du food et des écrans de passer à la loupe des experts.

Que ce soit via les applications, qui donnent des informations nutritionnelles ou via l’influence des réseaux sociaux, il est évident que nous mangeons avec les écrans et qu’ils influencent notre appétit. Et ce, depuis l’apparition du premier smartphone en 2007 sur le marché, qui est, au fil des années, devenu un véritable assistant alimentaire des consommateurs ! À cela s’ajoute la multiplication des commandes en ligne, la comparaison de listes d’ingrédients, la tendance à la vérification des allergènes, la manie de géolocalisation des produits et le besoin constant de vérifier la traçabilité des produits du quotidien, que ce soit pour soi-même ou pour ses proches. Mais à quel point cette digitalisation influence-t-elle nos choix alimentaires et le rapport à notre assiette ? Quel est l’impact de la technologie sur notre façon de manger et notamment sur la façon de manger de la viande ? Qui décide in fine : l’individu ou les influences multiples auxquelles il est exposé ? Et comment les Français arrivent-ils à faire le tri dans les informations reçues ? Enfin, manger beau et sain s’inscrit-il forcément en contradiction avec les notions de goût, de plaisir et de partage ? Et cette approche connectée remet-elle en question notre modèle alimentaire ? Tant de questions auxquelles se sont proposés de répondre plusieurs experts, sur invitation de l’annonceur (trentenaire dans son expertise) et autour de plusieurs angles : psychologique, technologique, nutritionnel et sociétal, sur la base d’une étude menée par l’IFOP (sur l’impact des réseaux sociaux sur l’alimentation).

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(©  Louis Hansel , Unsplash)

La montée en puissance des applications alimentaires

Parmi les grandes tendances qui se dégagent, une montée en puissance depuis trois ans, du nombre d’applications de décryptage alimentaire et un intérêt grandissant des publics pour ces usages (recherche, scan de produits, qualité, valeurs nutritionnelles, systèmes de notation). Ils sont en effet 53 % des Français à en connaître au moins une et 33% à en avoir déjà essayé (au moins une), dont 1/3 qui a cessé de les utiliser (8%). Ce qui laisse encore aujourd’hui 25 % d’utilisateurs d’applications alimentaires en France avec parmi eux là encore, 76 % de consommateurs qui l’utilisent depuis moins d’un an. Des outils censés améliorer la vie des consommateurs tels que Yuka depuis 2017, connue par 43 % des Français et Open Food Facts créée en 2013 (7 % de notoriété et 2,7 % d’utilisateurs). Quant au profil des utilisateurs d’applications, on note un fort atypisme en comparaison de la population française sur les 35-49 ans (30 % des utilisateurs), les CSP+ (21 % d’utilisateurs) et la région parisienne (23 % d’utilisateurs). Les familles sont donc les plus concernées par ces usages digitaux alors que les Millenials ne représentent que 26 % des utilisateurs.

À domicile ou en magasin en tout cas, plus de 90% des utilisateurs s’en servent, leur accordant une confiance élevée de près de 8/10 aux résultats apportés ; 65 % d’entre eux donnant une note supérieure à 8, tandis que les non-utilisateurs connaisseurs de ces applis,  ne donnent qu’une moyenne  de 5,9/10. Ils sont aussi 41 % à ne pas faire confiance aux résultats. C’est sans compter sur les autres critères pour lesquelles elles sont téléchargées (composition des produits, vérification de présence d’additifs, quantité de sucre, de sel et graisse, traçabilité et présence de labels. Une occasion aussi de mettre l’accent sur les produits ultra-transformés (plats cuisinés, gâteaux/biscuits sucrés…) mais dans une moindre mesure face à la composition de certaines viandes rouges ou blanches. Aussi l’impact de ces utilisations est forte puisque 1/3 des utilisateurs change de marque si le résultat n’est pas conforme. C’est d’ailleurs avec les produits végans que la sanction est la plus importante (51 % des utilisateurs vont changer de marque). Toutefois, il faut préciser que certains ne téléchargent ces applications que pour un usage informatif et pas toujours pour s’engager ou pour changer de catégorie de produits. Mais ce n’est pas tout : en plus des applications, les réseaux sociaux modifient eux aussi les habitudes alimentaires et les comportements d’achat.

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(© Brandless, Unsplash)

L’alimentation, tendance incontournable des réseaux sociaux

L’alimentation est une tendance incontournable des réseaux sociaux. Instagram l’aura prouvé avec ses nombreux hashtags. À commencer par #food recensant plus de 360 millions de posts. Facebook est aussi à la mode sur cette thématique avec plus d’un milliard d’interactions par mois. Autre question qui se pose pour la marque Charal : mangeons-nous sous influence ? Pour Catherine Lejealle, docteure en sociologie, invitée à ce rendez-vous, la réponse est évidente. Il y a « un impact prescriptif, une préconisation qui vise à apporter de l’information sur les réseaux sociaux », à tel point que les restaurateurs se mettent eux aussi, à créer des recettes qui passent très bien sur Instagram pour être tendance et référencé facilement de la clientèle.

Quant aux internautes, ils se construisent une identité.  « Anthropologiquement l’alimentation est une des choses qui nous définit le plus », précise l’experte avant d’ajouter qu’il y a une « distorsion entre la vraie vie et ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux. On parle de bovarisme, on ne montre pas (ce que le sociologue Erving Goffman appelait « les coulisses »). On donne l’impression que notre vie est aussi glamour et aussi extraordinaire que ce qu’elle peut paraître sur les réseaux sociaux. Mais au final ce n’est qu’un extrait et une mise en scène parce que ce repas qui est magnifique sur Instagram n’est peut-être pas gustativement bon ». Autre composante qui joue sur la psychologie des internautes : la notion de collectif.  « Les gens se fient à des applications, à des influenceurs, à des messages sur les réseaux sociaux pour leur santé. Cette donnée a énormément modifié le discours et leur attitude au quotidien. Aujourd’hui, les patients sont très connectés, très informés, mais ce n’est pas sans poser quelques problèmes. », déclare également Ysabelle Levasseur, diététicienne-nutritionniste.

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(© Charles 🇵🇭, Unsplash)

Reste à définir ceux qui sont les plus sensibles à ces messages, à savoir les adolescents qui veulent copier les habitudes des autres, jusqu’à modifier leurs habitudes alimentaires et parfois-même développer des troubles (anorexie, orthorexie pour les filles et quête de perfection pour les hommes se retrouvant dans les discours de coachs ou de sportifs). Toutefois, ces comportements varient en fonction de l’âge et des critères sociaux démographiques, tout comme des moyens financiers pour se nourrir. Il y a également une différence entre ceux qui ont le temps de s’informer et ceux qui ont comme préoccupation principale, de remplir le frigo/consommer tout court.

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(© Aliyah Jamous, Unsplash)

 Les industriels se mettent aux applications

Les marques l’ont compris, les applications donnent de nouveaux codes de consommation et il leur convient de s’y adapter rapidement pour maintenir une relation de confiance avec leurs clientèles. À l’heure actuelle en effet, 1 Français sur 4 utilise une application alimentaire et 76 % des utilisateurs l’utilisent depuis moins d’un an. Ce qui donne lieu à une hausse de la concurrence entre les diverses applications naissantes : ScanUp, Appetia, Foodvisor, Yuka, Siga, Scaneat, Kwalito, FAR, Chef Bambino, ou encore les programmes personnalisés tels que Lose it!, Maïa Coach, Smart Diet et FeelEat et les applications de livraison, vous l’aurez compris, le commun des mortels à l’embarras du choix pour se faire guider au moment des courses !  Enfin, on cite Bim Bim Go pour les étudiants, Rapidle ou Dood pour les boulangeries/CHR, Innovorder et Meal Canteen pour les scolaires autour du gaspillage alimentaire. Côté distributeurs alors, le changement s’organise. Ils s’engagent pour des causes qui tiennent à cœur la population (Leclerc, Casino, Groupe U…) pour tenter des expérimentations avec des start-up et rester attirants. Ainsi, parmi ceux qui testent des initiatives, on cite IBM, GS1, Connecting Food et Carrefour…).

Poêle intelligente, balance connectée, les possibilités sont infinies…

Autre tendance mentionnée autour de ce rendez-vous, le fait que les technologies d’objets connectés soient en lien avec la consommation alimentaire, bien qu’au stade de balbutiements. Les exemples sont nombreux au travers des innovations lancées par Aveine (secteur du vin), la fourchette/cuillère Spün qui compte les calories ingérées à chaque bouchée ou encore Seb et Vorwerk, très présents dans les foyers. La mode est aussi à la nourriture personnalisée, au travers des start-up type Bloomizon ou Cuure, proposant des programmes personnalisés (prise de vitamines par exemple).

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(© Siora Photography, Unsplash)

Quel impact a la digitalisation sur notre équilibre alimentaire ?

Mais les informations collectées sont-elles fiables et sûres sur le plan nutritionnel ? Les besoins nutritionnels des Français sont-ils en adéquation avec les tendances numériques (healthy, flexi…) ? Pour certains médecins, nous sommes plus souvent attirés par le beau et le coloré que par les aliments sains et riches en nutriments, noyés dans un flux d’information et ne parvenant plus à faire le tri. Comme le souligne Ysabelle Levasseur « le consommateur est informé mais pas encore averti. Il doit faire face à beaucoup d’informationset au fait que les applications ne se parlent pas entre elles. En effet, l’individu est perdu. Les applications santé (dédiées à certaines pathologies, comme le diabète) sont complètement déconnectées des autres applications comme celles de consommation, d’acte d’achat et de celles conçues pour prendre des photos. C’est un des principaux défauts que je vois dans ces applications : elles oublient l’aspect santé. » Si toutefois les experts notent une prise de conscience de la part des consommateurs et une envie de consommer plus sain, toutes les pratiques ne sont pas bonnes à imiter (surtout sans recommandations médicales). Les marques elles aussi l’ont compris, tentant depuis peu de modifier leurs recettes afin de répondre au mieux aux attentes.

Quant aux institutions, elles tentent elles aussi de surfer sur la vague, comme par exemple l’application gratuite disponible sur le site du PNNS : mangerbouger – La fabrique à menus. Aussi, les réseaux sociaux peuvent être dangereux pour les cibles non averties. Le fait d’évincer certains aliments dans son régime par exemple, préconisé par divers influenceurs peut inculquer de mauvaises habitudes et créer des carences dans l’organisme et faire chuter les défenses immunitaires.  « Des études dans le monde entier montrent le rôle important du fer. Le fer héminique que l’on trouve dans le monde animal est mieux absorbé que celui que l’on trouve dans le monde végétal. Il faut donc manger de tout de façon équilibrée. La viande n’est pas néfaste pour la santé et elle est indispensable dans une consommation raisonnée », poursuit l’experte. L’occasion donc, pour les professionnels de santé, d’avoir de l’impact dans leurs prises de parole pour garder leur rôle de prescripteur de bonnes habitudes (prévention). Quant à la présence du téléphone à table, qui force les consommateurs à tout engloutir en quelques secondes, puisque déconcentrés, les spécialistes le déconseillent pendant les temps de repas/ pauses (impact de la digestion).

Le plaisir, toujours au centre de l’assiette ?

Les Français et la nourriture, c’est une grande histoire d’amour. Mais dans ce contexte de digitalisation, le modèle alimentaire français est-il remis en question ? Si en France, il y a encore la notion de plaisir, ce n’est pas le cas partout. Dans l’Hexagone par exemple, les publics sont particulièrement sensibles à la Gamification, à la notion de fun. Comme le décrypte  Catherine Lejealle, sociologue spécialiste du numérique : les publics cherchent des idées de recettes, souvent en réalité augmentée/réalité virtuelle car le numérique donne accès à un flux d’informations qui permet la diversification des repas. Ainsi, les nouvelles technologies permettent de vivre de nouvelles expériences culinaires et d’apprendre des choses de façon ludique. Là encore, les marques se sont ancrées sur ce territoire pour rester originales aux yeux de leur clientèle. C’est le cas de Hellmann’s Recipe Cart au Brésil, qui fait consommer de la nourriture diversifiée par l’intégration de puces RFID (radio frenquency) au travers de Caddies connectés qui divulguent des recettes lorsque le client passe devant des rayons. On mentionne aussi Heinz Lunch Generator, une application qui donne des idées de recettes en fonction de son appétit (gargantua, moineau), de son budget et de son style. À cette liste s’ajoutent iCuisto et Frigo Magic, deux applications de scan de frigo qui tiennent compte du nombre de convives et indiquent les apports nutritionnels.

Manger est par ailleurs un acte social et communautaire au-delà d’apporter du plaisir et des saveurs, un acte qui permet notamment de suivre des groupes selon un type d’aliment ou de régime spécifique. Il permet aussi de partager des recettes, des gestes et des traditions ancestrales. Enfin, sur Instagram, cette action flatte l’ego au travers de nombreuses catégories qui font des envieux : la gastronomie, la « porn food » et va plus loin encore, générant des défis. Bienvenue donc au pays des narcissiques et des gloutons ! Parmi les autres tendances observées sur les écrans, on rencontre aussi les convaincus écologiques et ceux qui luttent contre le gaspillage sous toutes ses formes  (13 % des gens ayant conscience de la nécessité de préserver la planète (selon le CREDOC). Ils utilisent alors des dispositifs tels que We Act For Good, To Good To Go, Magic Frigo et Paupiette. Mais qu’en déduire alors ? Qu’il y a une quête du bon et du beau et qu’elle est amplifiée dans le contexte de digitalisation.

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(©  Louis Hansel, Unsplash)

Une porte aux nouvelles opportunités ?

Si les nouvelles technologies font des sceptiques, elles offrent cependant la possibilité de vivre de nouvelles expériences culinaires, d’apprendre à s’alimenter de manière ludique et de se mettre en relation avec des gens pour partager un moment de convivialité. Un paradoxe cependant : nous n’avons jamais été autant connectés et déconnectés de l’alimentation ! Voyons-y toutefois un secteur plein d’opportunités, permettant aux start-up de mieux travailler aspect et équilibre alimentaire, en intégrant à leurs solutions et projets, la notion de durabilité et de plaisir.  

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(© Gabrielle Cepella, Unsplash)

Méthodologie : Dialogue également éclairé par les savoirs de Clément Chevrette, directeur Smart Food Paris (Paris&Co) et de Sabrina Therene, IFOP.

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