Suppression de la redevance : les esprits s’échauffent

euros

La réforme de la redevance doit s'accompagner de "garanties accrues pour l'indépendance de l'audiovisuel public" sous peine d'être retoquée par le Conseil constitutionnel, conclut un rapport administratif sur cette mesure publié mercredi soir et consulté vendredi par l'AFP. Mais que pensent les dirigeants de l’audiovisuel public de cette suppression qui fait déjà l’objet de nouvelles propositions des Socialistes ?

Ce rapport, co-réalisé par l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale des affaires culturelles (Igac), avance sept propositions en vue de la prochaine disparition de la redevance audiovisuelle, annoncée par l'exécutif pour préserver le pouvoir d'achat. Cette promesse de campagne d'Emmanuel Macron a déclenché un tollé parmi les professionnels de l'audiovisuel public, déjà soumis à un plan d'économies depuis 2018 pour un montant total de 190 millions d'euros sur quatre ans. Ils craignent une nouvelle baisse de leurs moyens et de perdre leur indépendance avec un financement dépendant du budget de l'Etat voté chaque année au Parlement.

Pour les auteurs du rapport, la réforme "doit donc prendre en compte les trois piliers de l'indépendance financière que sont l'adéquation des ressources aux missions, la prévisibilité des ressources et l'absence de régulation" en cours d'année. Pour s'assurer d'un niveau de financement adapté aux missions, il est proposé de "créer une commission technique indépendante chargée d'estimer ce niveau", qui pourrait être associée à l'Arcom, le régulateur de l'audiovisuel et du numérique. Celle-ci interviendrait aux différentes étapes de la mise en oeuvre des Contrats d'objectifs et de moyens, les "Com", qui sont les feuilles de route établies par l'Etat sur plusieurs années pour les différentes entreprises de l'audiovisuel public. Son existence et ses missions devraient donc être inscrites "dans la loi organique sur les lois de finances" et ses avis pourraient être rendus contraignants.

Des COM pour 5 ans

Pour garantir une prévisibilité des ressources, les "Com" pourraient être établis pour cinq ans, commencer un an et demi après le début d'une mandature et leur trajectoire être inscrite dans un texte de loi, est-il aussi préconisé. Enfin, pour prémunir l'audiovisuel public de toute modification de ressources en cours d'année, telles que des mises en réserve ou des annulations de crédits, un article pourrait être inscrit dans la loi organique sur les lois de finances "exemptant les sociétés d'audiovisuel public de ces régulations" budgétaires. Le rapport suggère une période de transition jusqu'en 2024 pour préparer au mieux ces "garanties d'indépendance" et, dans l'attente d'un dispositif pérenne, d'affecter aux groupes de l'audiovisuel public "une fraction d'impôt existant" (TVA ou impôt sur le revenu).

L'audiovisuel public fait bloc

De leurs côtés, les dirigeants de l'audiovisuel public entendus mercredi dernier par des députés sont unanimes : impossible de réduire encore la voilure sans perdre en qualité avec des effectifs sous pression, ont-ils prévenu, alors que se profile la suppression de la redevance. Les patrons de France Télévisions, Arte, Radio France, France Médias Monde, l'INA et TV5Monde étaient invités à s'exprimer lors d'une table ronde organisée par la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale, chargée de trouver des pistes pour réformer leur mode de financement. France Télévisions "est en plan social depuis plus de 10 ans", a expliqué d'emblée sa présidente, évoquant une baisse des effectifs de près de 10% en cinq ans, soit une perte de 850 salariés. Les transformations au sein du groupe, comme le déploiement de son offre numérique, "ont été réalisées dans un cadre budgétaire extrêmement contraint puisque, entre 2018 et 2022, nos crédits ont diminué de 160 millions d'euros", a-t-elle rappelé. De fait, France Télé a supporté l'essentiel du plan d'économies imposé à l'audiovisuel public par le gouvernement en 2018, d'un total de 190 millions d'euros à l'horizon 2022. "Tant sur nos charges que sur nos coûts, France Télévisions est arrivée au bout d'un cycle et il me semble difficile, quasiment impossible, d'aller au-delà à moins d'une vaste réflexion sur notre périmètre ou notre organisation commune", a prévenu Mme Ernotte.    Car la fin de la redevance, promesse de campagne présidentielle d'Emmanuel Macron, fait craindre une nouvelle baisse des ressources et une perte d'indépendance aux médias publics. D'un montant de 138 euros en métropole et de 88 euros outremer cette année, la redevance a rapporté 3,2 milliards d'euros sur les 3,8 milliards versés à l'audiovisuel public. Pour protester contre la suppression de cette taxe, payée par les foyers équipés d'un téléviseur, les radios et télés publiques ont mené le 28 juin une grève largement suivie.

D'après Bruno Patino, président de la chaîne franco-allemande Arte France, "il y a une très forte incompréhension de notre partenaire allemand sur ce qui est en train de se passer" avec cette réforme qui, du côté allemand, reflète "la façon dont on considère le service public". Ils s'inquiètent d'une possible "absence de garanties", notamment de visibilité financière, alors que les deux partenaires doivent discuter en septembre de leurs "besoins de financement pour la période 2025-2027", a-t-il détaillé. Les Britanniques de la BBC, dont le budget est planifié sur 11 ans, "trouvent extraordinaire le fait qu'on commence les discussions aujourd'hui pour 2027", a taclé Mme Ernotte, déplorant ne pas avoir "d'informations pour janvier 2023". "L'indépendance de nos rédactions" ne doit pas être "vue comme dépendante des débats budgétaires", a renchéri Sybile Veil, PDG de Radio France. "D'où la nécessité d'avoir une visibilité pluriannuelle, comme chez nos voisins européens."   Pour l'audiovisuel public présent à l'échelle mondiale, "le choix du mode de financement n'est absolument pas anodin, il a de lourdes conséquences", a souligné Marie-Christine Saragosse, PDG de France Médias Monde (France 24, RFI, TV5Monde). Et de rappeler que son homologue allemand, la Deutsche Welle, qui disposait en 2012 du même budget que France Médias Monde, est aujourd'hui doté de 130 millions d'euros de plus, tandis que "Russia Today a un budget quatre fois supérieur à celui de France 24".

Face à ces multiples craintes, le gouvernement, qui prévoit d'inclure dans son prochain budget le financement de l'audiovisuel, se veut rassurant. "L'indépendance éditoriale sera totalement préservée", a répété mardi dernier la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, devant la même commission. "Les garanties sont là" avec "une compensation à l'euro près des effets fiscaux induits par ce nouveau mode de financement" et un "versement du montant total des ressources en une fois en début d'année pour éviter tout risque de régulation en cours d'année", a-t-elle assuré.

Une contribution « universelle et progressive » dans une proposition de loi

Les députés socialistes ont annoncé vendredi avoir déposé une proposition de loi pour "une contribution audiovisuelle, universelle et progressive" pour financer l'audiovisuel public. "Les arguments du gouvernement en faveur de sa simple suppression ne sont pas sincères", dénoncent les élus du groupe socialistes et apparentés, en proposant une nouvelle architecture "inspirée des modèles scandinaves". Cette initiative est soutenue par des sénateurs socialistes, comme Patrick Kanner, mais aussi Julia Cagé, professeure d'économie à Sciences-Po Paris et spécialiste de l'économie des médias, qui cosignent avec des députés dont Boris Vallaud, une tribune dans Libération.    S'ils reconnaissent que la redevance, "injuste et obsolète, doit être réformée et modernisée", les signataires estiment que "la fin de cette ressource affectée revient à soumettre, chaque année, l'audiovisuel public au bon vouloir du gouvernement". A la place, la proposition de loi projette de "remplacer le dispositif actuel par une contribution affectée et progressive en fonction du niveau de revenu des citoyens dont le montant et l'affectation seront contrôlés par un organisme indépendant". "Cette solution est plus juste socialement en permettant d'augmenter réellement le pouvoir d'achat des français, plus moderne car ne s'appliquant plus qu'au seul téléviseur et sanctuarise un financement pérenne pour l'audiovisuel public", affirme le texte.

Cette mesure "baisserait le montant de la redevance pour 85% des foyers. Pour les 12 millions de foyers les plus modestes par exemple, elle coûterait entre 0 et 30 euros, contre 138 euros aujourd'hui", selon les signataires. Pour Emmanuel Macron, la redevance ne garantit pas l'indépendance de ces médias puisque leurs budgets sont complétés par l'Etat à hauteur de "plusieurs centaines de millions d'euros par an" depuis dix ans. Il a proposé durant la campagne de mettre en place un budget pluriannuel pour financer l'audiovisuel public, afin d'en garantir l'indépendance. Payée par les foyers qui possèdent un téléviseur, la redevance doit rapporter cette année 3,2 milliards d'euros.

À lire aussi

Filtrer par