MeatLab Charal : Focus sur la schizophrénie alimentaire du XXI ème siècle

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(© Unsplash)

Après des tables rondes portées sur le flexitarisme, la question du genre dans l'alimentation et l'assiette connectée, Charal reprenait la parole autour d'un MeatLab digital ce mardi 13 octobre, pour évoquer les paradoxes alimentaires post-confinement. Un rendez-vous où la marque a délivré des chiffres de consommation et donné la parole à plusieurs experts du comportement et de l'alimentation. 

Quelles sont les nouvelles tendances émergeantes pour aller vers le « mieux-manger » ? La crise sanitaire liée au virus Covid-19 a t-elle modifié nos habitudes, nos goûts et nos attentes en matière de consommation ? Sommes nous devenus schizophrènes avec tous ces paradoxes à table ? Enfin, mangeons-nous par rapport à la qualité, aux labels ou au prix des aliments ? Telles sont les questions que se sont posées, ensemble, autour d'une conférence digitale, Stéphanie Berard-Gest, directrice marketing Charal, le Dr. Arnaud Cocaul spécialisé dans les troubles alimentaires et l'obésité, l'anthropologue et chercheuse à Lausanne Fanny Parise, ainsi qu'Eric Birlouez, ingénieur agronome et sociologie de l’agriculture et de l’alimentation et Frédéric Nicolas, directeur shopper insights d'IRI (études grande consommation). 

frigo de confinÉ, mode d'emploi

Si pour certains manger est une question de convivialité, pour d'autres c'est un casse-tête. Et cela commence par une équation difficile à résoudre : celle de bien consommer tout en faisant des économies. Comme l'explique Frédéric Nicolas, directeur shopper insights d'IRI « la proportion des français qui sont plus vigilants* par rapport à leur alimentation, a été multipliée par deux depuis 2019. Mais il est difficile de changer sa routine de courses, surtout dans une famille avec deux enfants ou plus. Autre frein à ce bien manger, le fait de renoncer à des plaisirs. Et en 3ème position, c'est le prix ». 

mieux manger

Confinement oblige, certaines tendances, émergeant timidement, se sont même confirmées dans les caddies des français, à l'inverse d'autres phénomènes de mode qui disparaissent de semaine en semaine (depuis la levée du confinement). « Depuis la fin du confinement on observe une envolée de cette préoccupation. Il y a 800 000 chômeurs de plus, ce qui fait que l'on regarde davantage le prix. Ce n'est pas forcément une question de manque de budget mais d'envie de réduire ses dépenses pour penser à l'après. Un phénomène de consommation pour aller vers une certaine durabilité. Néanmoins, depuis quelques mois, ce même effort du bien manger, en raison du prix donc, est en recul. On est plus attentif aux promotions qu'avant la crise. Certains ont fait la cuisine, préparé des plats à base d'une liste de course et ont eu recours aux marques distributeurs. Ainsi, on observe qu'il y a un duel entre les notions de sain et de plaisir. Plaisir qui est incarné par la naturalité, la qualité, le brut et le peu transformé. Et cela, les annonceurs y font de plus en plus attention », poursuit Frédéric Nicolas. Cela sur des références sans sucres ajoutés, sans additifs, sans gluten, label rouge; alternatif ou encore diétiétique et plein air (déodorants, oeufs, bières, etc). Pourtant, malgré une intention de faire bouger les choses, 16% de consommateurs se mettront moins aux fourneaux que lorsqu'ils étaient contraints de rester à domicile.  

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(© Unsplash)

 

Avec ou sans applis, on a de l'appétit 

Aussi, alors qu'en 2020 : 27% utilisaient des applications pour sélectionner de bons produits ou lire le nutriscore (comme Yuka, par exemple), d'autres dispositifs ont depuis émergé pour guider les consommateurs dans leurs achats. Néanmoins, les acheteurs semblent s'en être lassés, et ne sont pas avares quand il faut saupoudrer le sucre dans l'assiette, et continuent d'opter pour la gourmandise  en week-end et pour le goûter (biscuits, pâtes à tartiner, bière, glaces).

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Autre paradoxe ayant émergé pendant la crise sanitaire : celui du choix, (resté primordial malgré certaines convictions), de la protéine animale. En effet, si 38% de sondés se décrivent comme flexitariens (majorité de 35 ans et moins),  on aura consommé en grande partie du poisson et des produits de charcuterie durant le premier semestre (aliments jugés essentiels).

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(© Sebastian Pena Lambarri, Unsplash)

Une ambivalence vis à vis des hypermarchés

Autre enseignement de la table ronde de Charal : les français, généralement adeptes des plats préparés par manque de temps, n'ont pas boudé la cuisine pendant le confinement. Néanmoins, la courbe de la préparation des repas à domicile redescend depuis la fin de cette période inédite (ils n'ont de nouveau plus le temps de se consacrer à l'approvisionnement des denrées). Aussi, si les consommateurs indiquent ne pas aimer les hypermarchés, préférant faire les courses sur les marchés, auprès de magasins bio ou de leurs artisans (recrutement durable), les drives restent largement fréquentés. S'est donc créé un paradoxe entre l'attitude sincère et le comportement qui n'a pas suivi l'intention. Même constat face aux envies gustatives et la difficulté à suivre les saisons (fruits et légumes, notamment). 

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(© Unsplash)

Des pressions extérieures qui font peser l'assiette

Enfin, si les réseaux sociaux diffusent des images qui donnent l'eau à la bouche et inspirent de bons comportements alimentaires, le concept de « bien manger » a également fait naître des déviances et des troubles alimentaires (consommateurs de tous âges confondus). L'occasion pour le Dr. Arnaud Cocaul, nutritionniste et spécialisé dans les troubles alimentaires et l'obésité, de noter que la définition mise en place en 2003 par l'OMS à propos de ce terme, n'est plus adaptée à la société. « Le bien manger, c'est en rapport avec la santé. Il a une triple fonction. Hédonique avec le partage, physiologique pour assurer les fonctions vitales du corps et symbolique. Le mangeur moderne, si je puis dire, en est d'ailleurs pleinement conscient. Mais aujourd'hui, les patients que je reçois sont déconnectés de la nature et sont perdus face à toutes ces recommandations. Manger c'est s'affirmer, être soi. Et nous avons aujourd'hui 67 millions de français qui... ne mangent pas de façon uniforme ! Dans les faits, on abandonne les trois repas par jour. Et il y a des maladresses avec le programme de nutrition mis en place en 2001. Donc, en 2020, ces restrictions ne sont plus adaptées. Aussi parce qu'en France nous n'avons pas le droit de faire des études ethniques. Ainsi, il est difficile de savoir qui mange quoi et pourquoi. Par conséquent, il n'y a pas d'alimentation normative. Et en parallèle, nous faisons face à l'émergence d'une médicalisation dangereuse et à une aliénation du plaisir ». Parmi les dérives observées par ce spécialiste comme par la marque, une prise de poids, l'anorexie, ou encore l'orthodoxie.

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(© Unsplash)

À force de suivre sa consommation avec une multitude d'applications pensées pour être pratiques et bienveillantes envers le consommateur, celui-ci s'en obsèderait. « On américanise notre alimentation en comptant tous les apports caloriques, ce qui fait naître des nouveaux régimes comme la montée du jeune, ou le jeune intermittent, etc. Pendant le confinement par exemple, le site manger bouger a vu sa fréquentation augmenter. C'est bien la preuve que l'on essaie de changer d'alimentation mais qu'on ne s'y retrouve plus », poursuit Arnaud Cocaul. Que faire alors pour retrouver une cohérence parmi tous les discours des instances ? « Manger ensemble, partager, recréer du lien, autrement on aura des dérives. Eviter les aliments transformés, manger local et en saisonnalité pour éviter le gaspillage alimentaire. Eteindre la télévision et les autres écrans pendant les repas », préconise l'intervenant. Envers le rôle des industriels cette fois-ci, les réflexions se porteront sur la présentation des produits, tant en rayons que durant leur acheminement vers les points de vente, impactant considérablement le choix des consommateurs : « les industriels doivent réfléchir au conditionnement des denrées mais aussi à mettre en scène les linéaires. Et qu'ils réfléchissent à la taille des portions », indiquera encore Arnaud Cocaul avant de conclure que nous sommes, à l'heure actuelle « tiraillés entre les fondements de la médecine et le plaisir. Et qu'il y a un désir d’être entendu dans une société malade en perte de repères ». 

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(©  Thought Catalog, Unsplash)

 

Ces repères d'ailleurs, les experts rassemblés autour de ce rendez-vous digital de Charal, les transposerons sur les cercles proches; la famille ou les amis qui influencent les consciences et les appétits. « L'alimentation a un enjeu moral, et fonctionne avec des sanctions de jugement. On l'a vu avec le cas du sucre qui est diabolisé, par exemple. Mais l'alimentation a aussi un lien avec les ruptures de cycles de vie : un changement d’état, d’âge, de lieu, si l'on mange seul ou à plusieurs. Elle peut aussi être liée à l'épuisent professionnel. Il y a différents niveau de radicalité pour obtenir un équilibre. Cela va du stade de l'initié au stade de l'évangélisateur de l'alimentation, voire à la politiser, et qui va même jusqu'à conseiller l'autre et le convaincre que cela a fonctionné sur lui ou elle. Nous assistons donc à une sorte de mini-révolution. Une mini-révolution qui passe aussi par une hybridation des relations sociales avec l'essor de rituels digitaux pendant le confinement pour créer du lien différemment. Comme les brunchs ou les apéros via Skype », complètera l'anthropologue et chercheuse à Lausanne, Fanny Parise.

la nourriture alimente les débats 

Autre paradoxe observé, cette fois-ci par Eric Birlouez, ingénieur agronome et sociologie de l’agriculture et de l’alimentation, le fait que pendant le confinement, bon nombre de consommateurs ont fuit les produits dits « rétro innovants », tels que les  produits surgelés et les conserves, de peur de contribuer au sur-emballage. Enfin, alors que certains craignent l'empreinte carbone et pensant au futur de la planète, d'autres refusent de renoncer à la viande et à prendre l'avion. Un contraste que ce sociologue de l'agriculture explique, au delà d'une question d'éducation, de culture et de savoir-faire culinaire (ou non), par une « multiplicité des facteurs qui tiennent à ces individus ». Parmi eux, le rôle de la publicité et des réseaux sociaux ainsi que l'attente de sécurité alimentaire, quelques soient les générations. « Après les privations causées par la guerre par exemple, on a voulu la satiété. Puis, l’attente de sécurité alimentaire et de saveurs de la nourriture. Plus tard, l’attente de services en adéquation avec l'urbanisation des villes et le besoin de praticité. Enfin, l'attente de santé. Maintenant, nous en sommes au besoin de proximité, au respect du bien-être animal, au choix du végétal et du commerce équitable. Il y a tout simplement un besoin de réassurance dans la société française ».

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(© Unsplash)

En conclusion, il existe un fossé entre l'intention des consommateurs et leurs actions. Ces derniers étant conscients qu'il faut revoir les bases de l'alimentation, se (re) questionner sur le plaisir apporté par le régime choisi. Et qu'en parallèle, il faut réfléchir aux moyens logistiques tiers qui leur permettent (ou pas) de s'y tenir (comme la qualité, l'accessibilité, le prix, la transparence, le type de commerce, etc). De quoi inspirer les professionnels de l'agro-alimentaire à repenser l'assiette et les caddies de demain. Et à rendre cohérents les discours, entre les nouvelles attentes (moins de sucre, gammes végétales, labels bio) et les débats politiques qu'elles viennent déclencher (recyclage, gaspillage, élevage de masse, transition écologique, etc). 

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*61%  de français qui depuis fin 2019 sont plus vigilants à la qualité des produits de consommation courante depuis 1 an, vs 35% en 2017 (IRI).

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