Netflix, j’y vais ou j’y vais pas ? Jean-Luc Chetrit (Union des marques)

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Historiquement, annonceurs et agences média pointent la nécessité, voire l’obligation, de disposer de metrics fiables et transparentes des audiences aussi bien sur le linéaire qu’en ligne. Début novembre 2022, Netflix lançait son offre avec publicité. Le service de streaming, à date, ne communique pas ses données d’audience et, pourtant, bon nombre d’annonceurs s’essaient à ses espaces publicitaires… CB News est parti interroger le marché sur ce qui pourrait ressembler à un étrange paradoxe. C’est « Le débat CB News ». Il a proposé une série d’interviews des parties prenantes avec les agences média Values.Media, Initiative, Anacrouse, Agence79, Repeat Groupe, CoSpirit Groupe, Publicis Media, Havas Media, OMD et dentsu (voir notre dossier, ici). Aujourd’hui, Jean-Luc Chetrit, directeur général de l’Union des marques, dont le motif d’inquiétude n’est pas seulement celui que l’on croit.

CB News : Depuis début novembre, Netflix propose une offre avec Publicité. Une bonne nouvelle pour les marques ? 

Jean-Luc Chetrit : Oui, c’est une très bonne nouvelle ! Parce que cela permet d’abord de toucher des petits consommateurs TV, parce que cela permet également aux marques de communiquer dans un environnement premium et, enfin, parce que cela redonne de la visibilité à la publicité pour certains publics qui n’y avaient plus accès.

Les agences médias et les annonceurs plaident depuis longtemps, encore lors des dernières rencontres de l’UDECAM en novembre dernier, pour la mise à disposition de metrics fiables et transparentes sur les audiences, aussi bien sur le linéaire qu’en ligne. Netflix n’en communique pas. Et pourtant bon nombre de marques y investissent aujourd’hui. N’y a-t-il pas là un paradoxe un peu gênant ? 

Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’il n’y a aucun paradoxe, ni aucune difficulté avec Netflix. La nouvelle offre avec publicité a été annoncée en mai 2022, elle a été lancée en novembre et, dès décembre, je rencontrais Jeremi Gorman, présidente de la publicité monde de Netflix. Je lui fais alors clairement part de notre demande que les audiences de Netflix soient mesurées par Médiamétrie. Sa réponse immédiate a été : oui. Les discussions avec Médiamétrie sont, selon elle, entamées. Je ne crois pas que lorsque la télévision s’est lancée, elle a été immédiatement mesurée de façon précise. Il faut ce que j’appellerais le temps technologique. Je suis administrateur de Médiamétrie, je peux donc vous dire que des investissements importants sur le sujet sont actuellement réalisés par la société de mesure pour bien capter l’ensemble des audiences.

Mais mon point principal d’inquiétude n’est pas par rapport à Netflix. Mais par rapport à Amazon. Cette plateforme est dans un flou artistique très gênant, adepte du un pas en avant, deux pas en arrière dans son souhait d’être mesurée. Avec son offre sport qui diffuse la Ligue 1 de football, par exemple, des spots publicitaires sont visibles alors que rien n’est mesuré. Ce n’est pas acceptable. J’attends vraiment de voir à quel moment Amazon va bouger. Quoi qu’il en soit, vous constaterez que le nombre d’annonceurs sur ces matches de football retransmis est relativement limité. Quand c’est mal ou pas mesuré, cela ne peut pas représenter une commercialisation forte. Ce ne sera jamais un succès commercial tant qu’il n’y aura pas une mesure avérée et certifiée par Médiamétrie, entre autres.

CB News : Pour revenir sur le sujet Netflix, les agences media que CB News a interrogé dans le cadre de cette enquête, ont régulièrement mis en avant que les investissements publicitaires actuellement opérés sur Netflix étaient pour l’heure plus portés par la notion de « test & learn » que par l’envie d’y dépenser d’importantes sommes…

Jean-Luc Chetrit : C’est absolument ça. Les montants dont on parle ici sont faibles. N’oublions pas que l’offre vient d’être lancée alors que la montée en puissance de l’abonnement avec publicité de Netflix va être longue. Netflix le reconnait, d’ailleurs. Il y a effectivement des annonceurs qui regardent, testent et scrutent la proximité entre leurs contenus et ceux de Netflix. Au final, nous avons affaires, certes à un test & learn des annonceurs, mais aussi à un test & learn de Netflix qui fera progressivement évoluer son offre. Ce que l’on aura dans six mois, ce n’est certainement pas ce que nous avons aujourd’hui. Le ciblage sera plus important à partir du moment où le nombre d’utilisateurs sera en progression : il y aura alors de l’achat aux enchères, programmatique… ce qu’il n’y a pas aujourd’hui.

CB News : L’Union des marques entend-elle donner des « consignes » ou sensibiliser ses adhérents sur le sujet Netflix et son offre publicitaire ? 

Jean-Luc Chetrit : Chacun de nos membres est de toutes les façons libres. L’Union des marques, quels que soient le sujet, n’a jamais appelé qui que ce soit à aller dans une direction ou dans une autre. La seule direction vers laquelle nous appelons le marché, et pas seulement les annonceurs, c’est de nouer le dialogue avec Netflix, Amazon ou Google quand c’est nécessaire, et l’ensemble des acteurs TV pour leur demander de mettre en place des standards qui soient vérifiables et communs. Certes, nous nous appuyons sur la force des annonceurs pour le faire.

Chacun de nos membres est néanmoins informés de l’avancée des échanges que l’Union des marques a avec Netflix. D’ailleurs, nous avons fait remarquer à la plateforme que la commercialisation de son offre était uniquement opérée, pour l’heure, par de grandes agences médias alors que nous souhaitons que celle-ci se fasse également en direct si un annonceur ne veut pas passer par elles. Nous avons également appelé Netflix et Xandr (Microsoft), cette dernière opère la publicité pour le compte de la plateforme, à ce que la commercialisation se déroule dans le respect des textes de la loi Sapin. Ils y sont prêts.

CB News : Netflix mesuré par Médiamétrie, par exemple, une attente forte de votre part à court terme ? 

Jean-Luc Chetrit : Oui, sur la partie audience. Mais Netflix vend de la publicité ciblée, même si c’est encore limité. Nous sommes là dans des standards de la publicité numérique et s’il y a des mesures par Integral Ad Science (IAS), DoubleVerify ou d’autres intermédiaires, il y a alors la nécessité d’un contrôle et d’un audit par le Centre d’étude des supports de publicité (CESP), comme pour Médiamétrie. Concernant l’agenda, les solutions technologiques développées par Médiamétrie ont pour objet d’être réellement prêtes début 2024. 2023 sera la montée en puissance de l’outil du panel. Nous n’aurons pas trop d’un an pour avoir une mesure solide.

Mais je le redis, le sujet va bien au-delà de Netflix, avec Amazon en ligne de mire. Netflix est presque victime d’une attention disproportionnée alors qu’il ne représente qu’un tout petit bout du marché. Et dans le même temps, Amazon fait l’objet de peu d’attention alors qu’il a un poids très notable. C’est aujourd’hui un acteur extrêmement important de la publicité digitale, du retail media avec la volonté de se développer dans le sport et les contenus. J’y suis beaucoup plus attentif car je suis plus inquiet. Je pense que nous allons avoir besoin d’agir auprès de la direction d’Amazon en France, mais aussi via un appel lancé au sein de la WFA (la fédération mondiale des annonceurs, ndlr) dont je suis trésorier et membre du board, pour que le pure-player se joignent à l’ensemble des initiatives de transparence. Amazon est trop discret, trop caché, à surfer sous les radars alors qu’il est aujourd’hui puissant sur le marché de la publicité.

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